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MOYEN ÂGE La poésie lyrique

Les trouvères

La poésie courtisane

Ce sont surtout les poètes français en effet qui, au contact des troubadours, ont exploité méthodiquement les ressources techniques et idéologiques de la poésie occitane. La diffusion de ce lyrisme suit naturellement les axes de la civilisation de cour. Il apporte les cadres de pensée, les rites, le goût qui conviennent à ce type de vie sociale qui s'établit à Blois, en Champagne, autour des filles d'Aliénor d'Aquitaine. La force d'amour, dont les Méridionaux avaient fait le principe de leur révolution, est interprétée d'une manière plus conforme à la philosophie mystique. L'érotisme y semble, pour cette raison, plus « platonique ». Mais surtout la pression sociale se fait plus nettement sentir à l'égard des manifestations sexuelles : le désir est plus nettement sublimé. Néanmoins, l'ensemble de cette production poétique ne se confond pas avec une inspiration chrétienne qu'elle enrichit plutôt, et même menace, de certaines spéculations proches de l'hérésie. En tout cas, l'esprit « mondain » de ces poètes répond à la sensibilité, aux aspirations de la société aristocratique, en des termes fort différents de ceux de la théologie officielle. Cette mentalité courtoise se caractérise par un effort conscient et concerté pour dépasser la spontanéité du plaisir et la fatalité du malheur. D'où l'opposition au mythe de Tristan et Yseut, expressif de la vieille sentimentalité féodale. D'où aussi une grande réserve à l'égard de la sensualité, dont la poésie des troubadours n'était pas exempte.

L'initiateur de ce nouveau lyrisme semble avoir été Chrétien de Troyes (1135 env.-1183 env.), qui compose à la cour de Marie de Champagne vers 1170. Il a bien montré comment le lyrisme du fin'amors se greffe sur l'autre tradition, qu'on peut appeler celtique :

Ains del beverage ne bui Dont Tristans fut enpoisonez, Car plus me fait amer que lui Fins cuers et bone volontez. (« Jamais ne n'ai bu le breuvage dont Tristan fut empoisonné, car, plus que le sien, mon amour est inspiré par un cœur pur et une volonté saine. »)

Dans le même milieu social, Gace Brûlé (fin xiie-début xiiie s.) transpose la plupart des thèmes mis à la mode par les troubadours. Il est le type même du « pensif » introverti et douloureux, inattentif au monde extérieur, dont le décor reste vague, tandis que les personnages des « losengiers » semblent assez caricaturaux. On retrouve, transformée en inquiétude, en nostalgie douloureuse, en torture d'amant martyr, la tristesse sentimentale des premières chansons françaises :

À minuit une douleur m'éveille Qui m'ôte le lendemain l'envie de jouer et de rire. Elle m'a dit, à juste titre, dans l'oreille Que j'aime une femme qui me fait mourir en grand martyre.

Après la Champagne, ce sont l'Artois et la Picardie qui ont connu les premiers grands trouvères. Parmi ceux-ci, Conon de Béthune (1150 env.-1220 env.), grand seigneur qui s'est illustré à la troisième et à la quatrième croisade. Il a composé des chansons de croisade, s'est opposé dans des débats au troubadour Bertrand de Born (1140 env.-1215 env.), mais semble avoir été initié par Huon d'Oisy († 1189) aux goûts de la cour de Champagne, où l'on raille cependant son langage et ses chansons. Autre Picard, Blondel de Nesle a composé avec finesse et harmonie sur les thèmes courtois. Quant au châtelain de Coucy, qui mourut au cours de la quatrième croisade, il a pu mériter par son talent la légende qui fait de lui l'amant tragique dont la maîtresse, la Dame du Fayel, se vit servir le cœur par un mari jaloux. Tous ces trouvères sont, on le voit, d'assez grands personnages. Ils joignent au talent d'écrivain celui de musicien. Ainsi, le lyrisme courtois[...]

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  • : ancien élève de l'École normale supérieure, professeur à l'université de Paris-Sorbonne

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