Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

MOYEN ÂGE La poésie lyrique

Poésie et musique

C'est toutefois un grand musicien, Adam de la Halle, qui fait la synthèse de tout l'héritage et oriente le lyrisme vers les genres qui s'imposeront à partir de 1280, notamment le rondeau, tout en adaptant au théâtre les genres du congé et de la pastourelle. Il transforme les habitudes des trouvères, qui pratiquaient un art mêlant mélodie, discussion scolastique et analyse du sentiment. Introduisant la polyphonie des motets dans les rondeaux et les ballades, il soumet plus étroitement la parole à l'architecture sonore. Tout un secteur de la poésie lyrique, et cela jusqu'à Guillaume de Machaut, se définit désormais selon les principes de cet art symphonique. Parallèlement, le discours poétique se développe librement dans des genres comme le congé, la parole se moulant sur la pensée personnelle, sur le message.

Aux xive et xve siècles se renforce le rôle des cours princières dans la vie littéraire et artistique, sans que cela signifie la consolidation des doctrines courtoises par ces structures sociales. Néanmoins, le lyrisme, plus encore que les autres genres littéraires, est influencé par la vie culturelle que contrôle l'aristocratie. Un certain ton « européen » caractérise ainsi les grands chansonniers collectifs, qui juxtaposent les œuvres venues de différents pays.

En France, c'est encore un musicien, Guillaume de Machaut, qui, rassemblant dans son œuvre exemplaire toutes les formes de création poétique, codifie les genres et rajuste la doctrine. Le nouveau système lyrique qu'il transmet à ses successeurs est déterminé par l'évolution de la musique polyphonique (ars nova). Le langage poétique semble subir une contrainte plus rigoureuse de la structure musicale, le texte étant soit écartelé, pour servir à une mélodie ornée qui se déploie sur chaque syllabe, soit écrasé par la superposition des voix qui chantent des paroles différentes. La lecture et l'intelligence immédiates d'une œuvre ainsi présentée sont à la rigueur impossibles. Cette conception de l'art, ordonnée simplement vers la perfection, ne fait aucune concession au grand public.

Autre conséquence de cette évolution de l'art musical : l'écart grandit entre les genres faits pour être dits et ceux destinés à être chantés. Dualité qui apparaît dans l'œuvre même du poète ; elle se répartit entre les dits, sorte de discours poétiques rimés mécaniquement, et les petits poèmes à forme fixe, rondeaux, virelais, ballades. Complaintes et lais assurent la transition, mais tendent à reporter sur la virtuosité du vers et les recherches métriques le travail proprement artistique.

Quant aux idées, leur présentation n'est plus essentiellement cet assemblage de thèmes, de motifs et de topoi par lequel les trouvères visaient moins à l'originalité de leurs propositions qu'à une sorte de plaisir formel. Les poèmes de Machaut sont davantage orientés vers les problèmes et les événements de son milieu social. Et son discours poétique doit confronter l'héritage courtois avec l'enrichissement humaniste : les exemples de l'Antiquité, mieux connus, se mêlent plus souvent aux clichés chrétiens ou courtois. La mythologie tend à devenir une substance poétique, la « poétrie ».

Finalement, la fonction du lyrisme est déterminée par les rapports des poètes avec les princes qui les protègent et qu'ils doivent instruire et consoler. Dans la mesure où cette tâche philosophique l'emporte sur la fonction traditionnelle de louange, le lyrisme tend à se confondre avec le didactisme. Mais c'est l'intervention du poète, de sa personnalité, de son moi, qui caractérise désormais le lyrisme proprement dit. Déjà, dans le Voir Dit, Machaut propose un commentaire autobiographique de certaines de ses plus belles œuvres, faisant sortir de l'anonymat ou de l'ambiguïté[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : ancien élève de l'École normale supérieure, professeur à l'université de Paris-Sorbonne

Classification

Autres références

  • AGRICOLE RÉVOLUTION

    • Écrit par et
    • 8 076 mots
    ...siècle, l'agriculture traditionnelle est avant tout une agriculture de subsistance associée à une économie domestique fermée, dite économie de besoin. En Europe occidentale, le domaine héritier direct de la villa carolingienne, composée d'une réserve et de tenures (ou manses), reste l'unité de production...
  • AGRICULTURE - Histoire des agricultures jusqu'au XIXe siècle

    • Écrit par et
    • 6 086 mots
    • 2 médias
    Pour tenter de surmonter ces difficultés,à partir de l'an 1000, dans la moitié nord tempérée froide de l'Europe, l'usage de toute une gamme d'outils se répandit, en relation avec l'essor de la sidérurgie. Fourneaux à fonte et forges hydrauliques ont permis de produire...
  • ALBIGEOIS (CROISADE CONTRE LES)

    • Écrit par
    • 4 152 mots
    • 2 médias

    Le terme « albigeois » a servi, dès le milieu du xiie siècle, à désigner les hérétiques du Languedoc, bien que l'Albigeois ne paraisse pas, aux yeux des historiens modernes (qui ont continué à user de cette appellation devenue traditionnelle), avoir été le principal foyer de l' ...

  • ALLEMAGNE (Histoire) - Allemagne médiévale

    • Écrit par
    • 14 136 mots
    • 7 médias

    Plus de six siècles séparent la Germanie héritée des Carolingiens de cette « fédération de princes » qu'est l'Allemagne de la Réforme. L'histoire de cette longue période offre le contraste entre une politique vainement hantée par l'idée d'empire et la lente formation de la société...

  • Afficher les 157 références