MOYEN ÂGE La poésie lyrique
Chroniques, satires et ballades
Encore musical chez Machaut, le lyrisme devient romanesque avec Froissart, le chroniqueur, qui rima des dits et de courts poèmes pour les cours d'Angleterre et du nord de la France. Le plus souvent, la convention courtoise l'amène à présenter l'amour de très jeunes gens, qu'il fait s'exprimer avec une grâce un peu mignarde. Cependant, il demande aux personnages des pastourelles de se faire l'écho des grands événements politiques.
Tandis que les chevaliers de la cour de Charles VI riment volontiers des ballades pour correspondre, échanger des idées sur l'amour ou se plaindre de leurs malheurs, Eustache Deschamps (1346 env.-1407 env.) est plus tenté par la satire. La critique, chez ce petit officier de la cour royale, l'emporte en effet sur l'éloge. La leçon de morale se pare des prestiges de la fable, de la personnification, de l'allégorie. Mais, en définissant la poésie comme une musique naturelle, qu'il distingue de la musique artificielle ou instrumentale, Deschamps nous fait prendre conscience du changement qui affecte définitivement la poésie lyrique : séparée de la mélodie, elle repose entièrement sur l'art du langage.
Chez Christine de Pizan (1363-env. 1431) cet art est encore compris comme le travail de la forme strophique. La poétesse fait étalage de virtuosité en diversifiant ses figures de rimes. Cependant, elle a renoué avec la tradition purement sentimentale des chansons de toile en pleurant la mort de son mari qui l'a laissée « seulete » dans la dure société des hommes. Enfin, cette femme philosophe cherche à faire bénéficier ses vers de sa sapience, qui laisse prévoir, dès le début du xve siècle, la poésie humaniste.
L'humanisme commence alors son cheminement depuis l'Italie, par Avignon. Pétrarque (1304-1374) a d'abord eu plus d'influence en France par ses écrits savants que par ses Rimes. Les nuances de sa spiritualité raffinée, chimérique, mélancolique, son platonisme même sont surtout imités par l'Espagne, notamment par Alfonso Álvarez de Villasandino et le marquis de Santillana. La France semble plus éprise d'éloquence, de raison, de philosophie morale : à la dure école de la guerre de Cent Ans, elle apprend, alors, à juger l'histoire.
Alain Chartier (1385-env. 1430), orateur et conseiller de Charles VII vers 1420-1430, l'oriente vers la rhétorique. Ceux qui l'admirent le plus, notaires et juristes de Tournai ou de Bourgogne, rédigent des arts de seconde rhétorique pour inventorier les ressources poétiques du langage. Les grands rhétoriqueurs exploiteront ces ressources avec une ingéniosité remarquable. Aboutissement logique du pur formalisme, mais aussi impasse. Alain Chartier est aussi célèbre pour avoir poussé jusqu'à l'absurde les théories de l'amour courtois en créant l'inquiétante figure de la Belle Dame sans merci : mythe de la beauté froide qui fascine la conscience coupable de ses contemporains. Enfin et surtout, Chartier élabore un style poétique qui adapte les ressources stylistiques de la grande allégorie didactique (le Roman de la Roseet l'œuvre de Dante) à la brevitas du rondeau et de la ballade.
Il appartenait à un prince, à Charles, duc d'Orléans (1394-1465), d'écrire dans ce style allégorique les derniers chefs-d'œuvre de la tradition lyrique inaugurée par le duc d'Aquitaine. De son exil en Angleterre, il a rapporté un chansonnier composé un peu comme celui de Pétrarque : les ballades et les chansons qui se succèdent constituent moins l'histoire d'un amour que celle de tout amour. Après la mort de l'aimée, un poème allégorique de réflexion sur le temps justifie le renoncement à l'amour. Dans de nombreux poèmes, la métaphore, cultivée avec mesure, se développe logiquement, reprenant les images de la vie quotidienne pour figurer le monde des sentiments.[...]
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Écrit par
- Daniel POIRION : ancien élève de l'École normale supérieure, professeur à l'université de Paris-Sorbonne
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