MOYEN ÂGE Vue d'ensemble
Le Moyen Âge constitue à la fois une période chronologique, un type régional de société et un processus historique de portée universelle.
Tout découpage du temps historique est conventionnel. Cet arbitraire est patent quand il se fonde sur une pure quantité, comme le siècle. La périodisation paraît moins artificielle quand elle embrasse des durées longues, comme le « Moyen Âge ». Depuis la fin du xixe siècle, les nécessités de la répartition des époques dans les programmes d'enseignement ont généralisé l'usage de la périodisation. Les historiens admettent généralement la pertinence d'un millénaire médiéval, du ive ou ve siècle au xve siècle. Certes, on a pu discuter les dates de début et de fin de la période médiévale, mais les solutions proposées sont curieusement peu nombreuses : le Moyen Âge commence avec l'édit de Milan, publié par Constantin (313) qui christianise l'État romain, ou bien à la déposition de Romulus Augustule (476), signe de la chute de l'Empire romain d'Occident ; tout s'achève soit avec la chute de Constantinople (1453), soit avec la découverte de l'Amérique (1492). Ce découpage fait l'objet d'un large consensus. Les variations nationales ne portent guère que sur les subdivisions du Moyen Âge ou sur l'intérêt plus ou moins marqué pour tel ou tel aspect de la période.
Mais la question de son extension spatiale ouvre de redoutables questions. Dans un sens strict, le Moyen Âge n'a de pertinence qu'en Europe occidentale. Intuitivement, l'idée d'un Moyen Âge mélanésien ou amérindien paraît absurde. Parler d'un Japon médiéval nous entraîne sur le terrain d'un comparatisme séduisant et périlleux. Et, au plus près de l'Occident médiéval, on hésite à évoquer un Moyen Âge byzantin ou musulman.
La régionalisation du découpage chronologique nous conduit donc à la question du Moyen Âge comme circonstance fondatrice d'un large processus historique : le Moyen Âge se définit alors comme la période de gestation et de construction de l'Europe conquérante, berceau de la production industrielle et des échanges généralisés. Aucun autre espace-temps, au-delà des diverses réussites d'autres cultures, ne saurait prétendre à ce rôle matriciel, marqué par l'élaboration progressive d'une série de facteurs convergents qui devaient contribuer à l'émergence de l'économie-monde : maîtrise de l'énergie animale, début du salariat, commerce de longue portée, assurance maritime, urbanisation. Cette qualification de l'espace-temps médiéval donne sens aux bornes de la période : la fin de l'Empire romain inaugure la décadence du mode de production esclavagiste et la conquête du nouveau monde prépare la mondialisation du modèle européen.
Ce schéma paraît à la fois nécessaire et fragile. Il est nécessaire pour la part de factualité qu'il comporte : l'Europe a bien été conquérante et productrice ; bon nombre des instruments de cette conquête ont bien été forgés au Moyen Âge. La relativisation des « mérites » ou, du moins, de la spécificité du Moyen Âge risque de masquer une originalité essentielle de l'espace-temps médiéval, à savoir l'existence d'un régime de production sans doute unique dans l'histoire mondiale, défini par une paysannerie libre ou semi-libre, contrôlée par une aristocratie militaire qui prélève une rente et par une Église impliquée à la fois dans la domination culturelle des populations et dans la structure foncière. La constitution progressive de ce que l'on nomme l'État moderne procède certainement de ce régime.
La réduction du Moyen Âge à l'Occident latin, au nom de la singularité de son rôle dans l'histoire universelle, comporte bien des inconvénients et des distorsions. Si l'on prend, par exemple,[...]
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Écrit par
- Alain BOUREAU : directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales
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