MOYEN, philosophie
Ce qui rend possible et réel l'accomplissement d'une fin. Un débat traditionnel et toujours actuel de la philosophiemorale a pour objet la préséance des moyens ou des fins, leur éventuelle dénaturation réciproque. La structure téléologique de l'action humaine autorise la distinction des moyens et des fins ; il est dans la nature de la volonté humaine d'agencer des moyens en vue d'une fin. Le moyen est pour une part l'instrument de la réalisation de la fin ; pour une autre part il est médiation, action transitoire dans un devenir temporel orienté. Les fins peuvent être proches et constituer elles-mêmes des étapes, ou être lointaines : elles se confondent alors avec un projet global, une valeur, un idéal.
Platon (Hippias Mineur, premier livre de La République) oppose les techniques multiples, comme sciences des moyens, à la morale, comme science unique des fins, qui décide de l'usage et donc du sens des moyens ; la justice n'est ni une puissance neutre et ambivalente ni une technique relative à une fin extrinsèque, mais un bien absolu. Kant (Fondements de la métaphysique des mœurs, 1785) distingue les moyens comme ce qui est bon (utile) relativement à autre chose, de la fin comme ce qui est bon absolument, bon en soi. Seule est bonne absolument la bonne volonté, volonté respectable par elle-même, indépendamment de toute intention ultérieure. Autre distinction kantienne célèbre : celle des impératifs hypothétiques (conseils techniques, fruits de la prudence et de l'habileté, qui expriment la nécessité pratique d'une action comme moyen pour obtenir quelque chose que l'on désire) et de l'impératif catégorique, qui exige absolument, sans égard à une fin quelconque, et qui exprime la loi morale. L'une des expressions du principe fondamental de la moralité kantienne est la suivante : « Agis de manière à traiter la personne d'autrui jamais seulement comme moyen, mais toujours en même temps comme une fin » ; la dignité de l'autre exige que l'on n'en fasse ni un esclave ni un simple instrument.
Le véritable problème moral est posé par les adages du sens commun : « La fin justifie les moyens » et « Qui veut la fin veut les moyens ». On peut, bien entendu, les interpréter en un sens platonicien : la morale comme science des fins assigne aux moyens leur juste place et en fait les moyens appropriés à une fin, les « justifie » en tant que moyens pour telle fin ; qui veut actualiser une fin, réaliser un projet ou donner de l'existence à une valeur doit faire ce qu'il faut pour cela, prendre les moyens nécessaires et des moyens dignes de cette fin, qui ne soient pas en contradiction avec elle.
On sait que ces adages sont en fait le plus souvent des justifications de mauvaise foi et qui ont cours lorsque la politique se voit confrontée à la morale. Peut-on mettre la torture au service de la défense de la liberté ? Mettre l'hypocrisie diplomatique au service de la paix ? Emprisonner les gens pour leur bien ? User de corruption afin de parvenir au pouvoir et de mettre en œuvre un programme de justice ? Telles sont les questions très schématisées qui inquiètent parfois les consciences humaines et trouvent une expression systématique dans les philosophies de l'histoire. S'il est facile à partir de Kant de juger scandaleux le contraste entre une fin « noble » et des moyens « honteux », Hegel (Phénoménologie de l'esprit, 1807) se moque de la « belle âme » qui rejette l'extériorité, refuse de sortir de soi, de ternir sa pureté et finit par dépérir, exsangue. Sartre, dans Les Mains sales (1948), dramatise le conflit entre la soif de pureté chez le jeune Hugo et le souci d'efficacité d'un homme mûr, Hœderer.
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Écrit par
- Françoise ARMENGAUD : agrégée de l'Université, docteur en philosophie, maître de conférences à l'université de Rennes
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