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YUNUS MUHAMMAD (1940- )

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La banque des pauvres

En 1974, trois ans après son retour, le Bangladesh est touché par une terrible famine qui fait 1,5 million de morts. Yunus s'en émeut profondément : « Les gens mouraient de faim dans la rue et moi je continuais à enseigner d'élégantes théories économiques sans aucune prise avec la réalité », dira-t-il. Il décide alors de constituer avec ses étudiants un groupe de « recherche action ». L'objectif est de trouver des remèdes à la pauvreté dans le village de Jobra proche de l'université. Après s'être intéressé à l'amélioration des rendements agricoles (avec de nouvelles variétés de riz), le groupe identifie rapidement que le coût prohibitif du crédit entretient la pauvreté : le taux d'intérêt des usuriers locaux pouvait s'élever à 16 % par jour pour les petits prêts. Yunus prête alors 850 takas à 42 femmes pauvres de Jobra qui devront lui rembourser ponctuellement et intégralement la somme due. Il réitère l'opération avec succès et tente, en vain, de convaincre les banques de se joindre à cette initiative. C'est alors qu'il décide de fonder sa propre structure : la Grameen Bank (grameen signifie village en bengali), née en tant que projet de recherche en 1976, devient une banque en 1983. L'originalité du programme est de prêter non pas à des individus mais à des groupes d'emprunteurs (de cinq personnes) solidairement responsables du remboursement. Les emprunteurs ont ainsi intérêt à s'autosélectionner (personne n'a intérêt à s'associer à une personne peu fiable), à s'assurer de la bonne utilisation du prêt par chacun des membres du groupe, et à faire pression sur ces membres afin qu'ils remboursent leur dû. Le « collatéral social » vient pallier l'absence de collatéral (garantie) physique : la Grameen Bank n'octroie des prêts qu'à des ménages pauvres possédant moins de 0,5 acre, soit environ 0,25 hectare, de terre. En 2005, la Grameen Bank couvre 85 % des villages du Bangladesh et compte 5,31 millions de clients, dont 96 % de femmes. Son modèle est appliqué à l'étranger à partir de 1989 et se diffuse dans un grand nombre de pays. La Grameen Bank investit également dans de nombreuses activités, dont la téléphonie (Grameen Phone) ou le textile (Grameen Check), avec toujours pour but de résoudre des problèmes sociaux sans sacrifier la viabilité économique.

Muhammad Yunus a reçu de nombreux prix internationaux, le prix le plus important du Bangladesh, ainsi que des titres honorifiques d'universités étrangères. Le prix Nobel de la paix a permis à la microfinance de gagner encore en notoriété et d'attirer de nouveaux soutiens.

En 2007, l’économiste envisage de se lancer dans la politique. Le gouvernement bangladais dirigé par Sheikh Hasina le contraint d’abandonner la direction de la Grameen Bank en mai 2011, à la suite d’une procédure judiciaire. Cette éviction se produit à un moment où certains observateurs estiment que le microcrédit montre ses limites dans les pays émergents où il s’est implanté. Ils considèrent notamment que des « dérives » de plus en plus nombreuses entachent le travail de certains des organismes financiers qui le pratiquent (taux usuraires, suicides de paysans surendettés en Inde, etc.). La réussite économique et entrepreneuriale de Muhammad Yunus n’échappe pas à ces critiques souvent virulentes.

Sous le gouvernement de Sheikh Hasina, Muhammad Yunus fait l’objet de nombreux chefs d’accusation, notamment pour blanchiment d’argent et violation des lois sur le travail. En août 2024, à la suite d’une grave crise politique qui aboutit à la démission de la Première ministre, le « banquier des pauvres » est nommé conseiller en chef du gouvernement intérimaire.

— Marie GODQUIN

—  ENCYCLOPÆDIA UNIVERSALIS

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Écrit par

  • : docteure en économie
  • Encyclopædia Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis

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Muhammad Yunus, le père du microcrédit - crédits : D. Lyons/ Age Fotostock

Muhammad Yunus, le père du microcrédit

Autres références

  • BANGLADESH

    • Écrit par et
    • 8 423 mots
    • 10 médias
    ...développement économique et social du pays repose en partie sur la diffusion massive du microcrédit, depuis la création, en 1976, de la Grameen Bank par l’économiste bangladais Muhammad Yunus. Surnommé le « banquier des pauvres », il s’est vu décerner le prix Nobel de la paix en 2006 pour son combat contre...
  • MICROCRÉDIT

    • Écrit par et
    • 6 238 mots
    ...satisfaisante leurs prêts sans qu'il soit exigé de garantie. L'exemple le plus emblématique de ces initiatives est celui de la Grameen Bank et de son fondateur Muhammad Yunus, qui ont obtenu le prix Nobel de la paix en 2006 pour « [leurs] efforts à créer le développement économique et social en partant de la base »....