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MULHOLLAND DRIVE (D. Lynch)

Comme toutes les œuvres d'importance, Mulholland Drive (2001, prix de la mise en scène au festival de Cannes) engendre son lot de malentendus. Dès sa genèse, le film de David Lynch quitte vite sa route initiale. La compagnie A.B.C. ne donne pas suite au « pilote » réalisé par l'auteur de Twin Peaks, et ce n'est que par l'entremise d'Alain Sarde et de Studio Canal que s'opère sa mue en long métrage. Production française et film américain, Mulholland Drive accomplit une manière de miracle : une esquisse condamnée, considérée comme inutile, renaît de ses cendres pour devenir ce qu'il ne faut pas craindre d'appeler le premier chef-d'œuvre du deuxième siècle du cinéma.

Mais David Lynch fut en quelque façon pris à son propre piège et victime de son image : si le film connut une faveur critique extrême, provoqua un enthousiasme débordant chez les cinéphiles et se révéla être une excellente opération commerciale, le mystère de sa naissance ne manqua pas de se répercuter sur sa réception. Or, tout en convoquant les forces obscures qui habitent et dominent le monde de David Lynch, Mulholland Drive est une œuvre qui tend à la clarté (surtout si on la compare à Lost Highway), et dont l'exigence réclame davantage qu'un vague consentement, fût-il teinté d'hystérie. Placé au centre du dispositif cinématographique, le spectateur y est l'objet de toutes les attentions de la part d'un cinéaste assez diabolique pour imposer un ordre strict à sa fantaisie sensuelle et sensorielle. Il est ainsi désolant de noter que l'accès à l'œuvre fut pour ainsi dire bloqué par son succès même ; elle n'est pas une « bande de Moebius » ouverte à une infinité, voire à une simple dualité, d'interprétations ; elle est surprenante, fondée sur une articulation bouleversante du rêve, du fantasme et de la réalité. Et, même si Mulholland Drive comporte ses zones d'ombre et ne saurait être « traduite » et expliquée en tous points, sa structure est rien moins qu'obscure.

Il s'agit du rêve de rachat d'une agonisante. Le film avance moriendo. Il entretient par là, en son principe même, une relation privilégiée avec son lointain modèle, Sunset Boulevard (B. Wilder, 1950), qui, à un demi-siècle de distance, proposait également une réflexion sur les possibles de l'art cinématographique dans sa version hollywoodienne : emploi similaire d'un nom de rue de Los Angeles, même insistance sur le panneau indicateur, même absolue confiance accordée au « récitant », mort ou en train de mourir (Wilder avait d'ailleurs déjà expérimenté cette dernière option en 1944 avec Double Indemnity, autre film récemment convoqué par Woody Allen, Brian de Palma, et le David Lynch de Lost Highway). Pendant près de deux heures, Mulholland Drive possède tous les atours du rêve. Nouvelle Dorothée d'un très bizarre Magicien d'Oz, Betty vit sa version de l'american dream.Hollywood s'offre à la jeune prétendante avec une facilité que n'aurait osé espérer la Vicki Lester de A Star Is Born. Mais l'être de lumière interprété par la blonde Naomi Watts possède sa part d'ombre. D'abord figurée par la brune et sensuelle Laura Elena Harring, amnésique rescapée d'un terrible accident d'automobile, cette ombre ne cessera de croître tout au long du film.

Lynch prend un évident plaisir à la satire up to date des mœurs hollywoodiennes : metteur en scène « artiste », production mafieuse, tueurs à gages tout droit sortis d'un film de Tarantino, dépravation plutôt généralement partagée. Pourtant, il ne s'attarde pas sur ce registre et lui confère le statut qui devrait rester le sien : le « milieu » n'est qu'un décor, une projection, un fantasme – cela même de quoi nos rêves sont faits. Telle est précisément la singularité de [...]

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Écrit par

  • : professeur d'études cinématographiques et d'esthétique à l'université de Paris-Est-Marne-la-Vallée

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