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MULTIVERS

Bien qu'elle traverse toute l'histoire de la pensée, l'idée d'univers multiples a vu son statut évoluer considérablement depuis quelques années : d'une position métaphysique ou d'une image mythologique, elle s'est muée en hypothèse scientifique ou, plus exactement, en conséquence d'hypothèses scientifiques émises pour répondre à des questions bien déterminées de physique des particules ou de gravitation. De façon remarquable, l'émergence d'univers multiples, naturelle dans la plupart des théories – établies ou spéculatives – dont nous disposons à l'heure actuelle, permet de résoudre certains paradoxes fondamentaux de la physique contemporaine. La proposition est vertigineuse : notre Univers tout entier réinterprété comme un îlot dérisoire dans un immense méta-monde infiniment vaste et infiniment diversifié. Les lois réapparaissent comme des phénomènes, la nécessité se meut en contingence. L'étrangeté de notre monde s'explique par un effet de sélection : nous nous trouverions dans une zone du multivers qui est évidemment hospitalière. L'idée demeure-t-elle scientifique ? Peut-elle être testée ? Si certaines précautions de rigueur et de prudence sont observées, le multivers s'inscrit bien dans la mouvance scientifique la plus orthodoxe. Mais il invite aussi à des développements philosophiques profonds, et c'est une part de son intérêt.

Une brève histoire des multivers

L'idée d'univers multiples se rencontre chez différents auteurs à travers l'histoire. C'est sans doute chez Anaximandre (vie siècle avant J.-C.) qu'elle apparaît en premier, au détour d'une réflexion sur le concept d'apeiron, littéralement « l'illimité ». Anaximandre pense une multitude de mondes successifs définis par leurs rapports à la qualité, à l'espace et au temps. La proposition, sous une autre forme, se trouve également chez les grandes figures de l'atomisme ancien : Démocrite, par exemple (ve siècle avant J.-C.), considère que les mondes sont en nombre infini, naissent et se forment.

Au Moyen Âge et à l'âge classique, les mondes multiples fleurissent à nouveau. Au début du xve siècle, Nicolas de Cues – contemporain de la redécouverte de l'ouvrage de Lucrèce De la nature – imagine une pluralité de mondes dont les habitants se distingueraient par leur caractère propre. Giordano Bruno (1548-1600) évoque, dans des textes d'une extraordinaire audace et clairvoyance, les « grands et spacieux mondes infinis » tandis que son frère de pensée français, François Rabelais (1483 ?-1553), imagine des mondes co-existants, magiques ou mystiques, et inspirés des cent quatre-vingt-trois mondes du philosophe présocratique Petron d'Himère. En un sens très différent, Leibniz (1646-1716) pense des mondes multiples qui permettent de comprendre le nôtre comme le « meilleur » et d'introduire une forme de contingence au cœur de la définition des possibles.

La philosophie contemporaine recourt aux univers pluriels suivant deux axes disjoints. Le premier, celui de David Kellogg Lewis (1941-2001), consiste à considérer que tout ce qui est possible est effectivement réel dans un certain monde. Contrairement à son apparence échevelée, cette proposition permet de faire face à des questions techniques de philosophie analytique, en particulier concernant les énoncés contrefactuels (du type : « A est la cause de B » signifiant « Si A ne s'était pas produit, B ne se serait pas produit »). Le second, développé par Nelson Goodman (1906-1998), étudie la possibilité de mondes « faits à partir de rien par l'usage de symboles » et réinterprète nos positions et propositions comme autant de manière de « faire des mondes ».

Depuis quelques décennies, la physique et l'astrophysique s'intéressent[...]

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Écrit par

  • : enseignant-chercheur à l'université de Grenoble-I et au laboratoire de physique subatomique et de cosmologie de Grenoble

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