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MULTIVERS

Peut-on tester l'hypothèse du multivers ? Quel est son intérêt ?

Ce dernier multivers permet de résoudre naturellement l'un des problèmes lancinants de la physique théorique : celui de la naturalité. Comment comprendre que la plupart des constantes fondamentales – parmi lesquelles la fameuse constante cosmologique, à l'origine de l'accélération de l'expansion de notre Univers – adoptent des valeurs souvent très particulières et particulièrement adaptées à l'existence de la complexité ? Le multivers permet d'échapper à la réponse théologico-téléologique : un monde créé pour l'existence de la vie et de l'homme ; il existerait tout simplement de multiples univers avec différentes valeurs de ces constantes et nous nous trouverions évidemment dans l'un de ceux qui sont favorables à l'apparition de la vie. De même que la Terre n'est pas du tout représentative de notre Univers, celui-ci n’a aucune raison d'être représentatif du multivers. Nouvelle blessure narcissique ! Il est intéressant de remarquer que le multivers résout simplement cette énigme sans avoir été créé pour cela : il ne s'agit que de l'heureuse conséquence de théories élaborées pour répondre à des questions claires de physique subatomique et de gravitation.

Contrairement à une idée reçue, même si ces mondes multiples sont inaccessibles, la théorie est bien réfutable. Cela tient simplement à ce que le multivers n'est pas, en lui-même, un modèle mais est une conséquence, parmi d'autres, de modèles. Or ces modèles peuvent être mis à l'épreuve. Nous ne disposons que d'un unique échantillon d'univers, le nôtre, mais c'est déjà quelque chose ! Si l'on connaît la distribution de probabilité des différents types d'univers prédits par une théorie et qu'on peut estimer la probabilité d'apparition d'observateurs dans ce type d'univers, il est possible d'estimer si notre existence au sein de notre Univers corrobore (à un certain degré de confiance) cette théorie. La démarche n'est aujourd'hui pas techniquement faisable – d'autant que la définition d'une mesure dans le multivers est un problème très complexe – mais la démarche est bien scientifique au sens le plus orthodoxe du terme.

Bien qu'elle soit donc réfutable – au sens de Popper – et s'inscrive ainsi de droit dans le cadre de la physique « standard », cette proposition est également attrayante par ses ramifications extra-scientifiques. Elle impose un positionnement ontologique et une réflexion sur ce qui est attendu de la démarche scientifique. Les champs disciplinaires se transforment de l'intérieur : Wassily Kandinsky et Arnold Schönberg n'auraient sans doute pas été considérés comme des artistes par un théoricien de l'esthétique du xixe siècle. Si, aujourd'hui, les physiciens ressentaient le désir ou le besoin de brouiller les délinéaments de leur discipline, serait-il souhaitable de les en dissuader ? La proposition est sans doute dangereuse. Elle doit être utilisée avec prudence et circonspection. Mais le risque est peut-être le prix à payer pour ouvrir de nouveaux horizons.

— Aurélien BARRAU

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Écrit par

  • : enseignant-chercheur à l'université de Grenoble-I et au laboratoire de physique subatomique et de cosmologie de Grenoble

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