MUON ET MODÈLE STANDARD EN PHYSIQUE
Les expériences de Brookhaven et du Fermilab et l’écart par rapport à la théorie
Les premières expériences dédiées à la mesure du rapport gyromagnétique du muon ont ouvert la voie aux mesures de précision actuelles. En 1960, quatre physiciens de l’université Columbia de New York freinent des muons afin de les stopper dans une cible remplie de bromoforme et de mesurer les caractéristiques de leurs désintégrations, ce qui leur permet de déduire la valeur du rapport gyromagnétique g = 2,002 44 avec une incertitude estimée de 0,000 16. À partir de 1968, c’est au Cern de Genève que des progrès importants sont réalisés. Le principe de la mesure est d’injecter dans un anneau de stockage des muons dont la direction du spin est connue. En soumettant ces muons à un champ magnétique, la direction de leur spin varie selon un mouvement de « précession », la fréquence de ces variations étant proportionnelle à la différence g – 2 qui mesure l’écart par rapport à la valeur en l’absence de toute interaction. Ce principe sera pleinement exploité à partir de 1990 par une équipe d’environ 75 physiciens qui construisent et exploitent au laboratoire de Brookhaven, dans l’île de Long Island près de New York, un anneau de stockage de muons spécifiquement conçu pour cette mesure. Après plusieurs étapes intermédiaires, leur résultat final publié en 2006 fait état d’une valeur légèrement supérieure aux prédictions théoriques, qui continuent à s’affiner de leur côté.
Depuis, les 250 physiciens, Américains et Italiens pour la plupart, de la collaboration « Muon g – 2 », ont amélioré la précision de la mesure publiée en 2006 en utilisant le même anneau de stockage, qu’ils ont déménagé (par bateau en contournant la Floride et en remontant le Mississippi et le Missouri, puis par transport routier) du laboratoire de Brookhaven au laboratoire Fermi à Batavia, près de Chicago. Cet anneau de 7 mètres de rayon est soumis à un intense champ magnétique de 1,45 tesla produit par un aimant supraconducteur refroidi à une très basse température (–269 0C) par de l’hélium liquide. Les résultats publiés en 2021 indiquent un désaccord assez net avec les précisions théoriques. Après une étude scrupuleuse des incertitudes expérimentales, ce désaccord est d’environ 4 écarts standard ; sans entrer dans les subtilités du traitement statistique des données, cela signifie que la probabilité que la théorie rende compte de la mesure est très faible et tend avec la répétition des mesures, à devenir encore plus faible.
Cette performance expérimentale a été justement applaudie par tous les experts du domaine. Elle est en effet exemplaire d’une démarche et de la capacité des mesures de précision quant à la mise en cause d’une théorie. La mesure précise du moment gyromagnétique du muon dans le cadre du programme « Muon g – 2 » débouche sur le questionnement d’au moins certains aspects du modèle standard des interactions fondamentales. On ne sait pas encore s’il faudra bouleverser le cadre théorique ou seulement l’améliorer à la marge pour progresser dans la description de la nature. La mesure n’indique pas dans quelle direction chercher, ce qui est la principale faiblesse de l’approche. Avant, cependant, de songer à une nouvelle physique qui dépasserait ce modèle, il faut réduire les incertitudes expérimentales et affiner les estimations théoriques des contributions dues à la chromodynamique quantique. Le résultat de cette mesure conduit naturellement à suspecter l’intervention de nouvelles forces, et de nouvelles particules liées à celles-ci. Prouver leur existence implique d’abord d’obtenir de nouveaux résultats des expériences menées au grand collisionneur (le LHC) du Cern et à la conception d’autres expérimentations.
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Écrit par
- Bernard PIRE : directeur de recherche émérite au CNRS, centre de physique théorique de l'École polytechnique, Palaiseau
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Médias