MURASAKI SHIKIBU (978 env.-env. 1014)
Le « Dit du Genji »
Soixante-dix ans, trois générations et toujours le même jeu de l'amour et de l'ambition, sans cesse repris, avec d'infimes variantes, par des acteurs nouveaux qui ne sont que gouttes d'eau dans le fleuve du temps.
L'histoire certes commence à la manière d'un conte de fées : il était une fois un empereur dont la favorite aimée à la folie met au monde un prince beau comme le jour. Mais, dès les premières pages, la machine grince et s'enraye : la belle était de trop petite naissance et toute l'autorité du souverain ne peut la protéger de la jalousie de ses rivales, qui la persécutent tant et si bien qu'elle en meurt. Jamais non plus le beau prince ne montera sur le trône : rendu prudent par l'expérience, son père en fera un genji, un « fondateur de clan », en d'autres termes un sujet.
Au second livre déjà, nous le trouverons, adolescent, passant une nuit à parler de femmes avec des amis de son âge. Suit, jusqu'au livre onzième, le récit minutieux de ses succès féminins, de quelques échecs aussi dont les raisons sont analysées avec une rare pénétration. Ce Genji serait-il donc un « don Juan japonais », comme on l'a qualifié un peu rapidement ? Que non pas : c'est un jeune homme sérieux, trop sérieux même, au point qu'il passe pour « austère » auprès des dames du palais. Mieux encore, il se révèle d'une fidélité à toute épreuve, fidélité multiple même, les usages imposant des amours plurales à un personnage de son rang, mais fidélité fort peu commune, puisqu'il s'estime obligé de veiller au confort moral et matériel de toutes celles dont il a obtenu les faveurs. En un mot, il est le « héros d'amour », tel que le peut rêver une femme dans une société polygame, où les relations entre les sexes reposent sur des conventions assez floues, sans aucune sorte de garantie juridique ni religieuse.
Dans sa quête incessante toutefois, ce qu'il cherche avant tout, c'est un divertissement à ce qui restera l'amour de sa vie, l'amour interdit pour la nouvelle favorite de son père qui, lui a-t-on dit, ressemble à sa mère. D'une brève rencontre naît un enfant que l'empereur croit son fils, qu'il confie en mourant à la garde du Genji, son « frère aîné », et qui, bien plus tard, ayant accédé au trône, fera de ce dernier son principal ministre ; autant de sources de remords et de tourments pour ses parents véritables, qui trembleront toute leur vie de voir le fatal secret découvert, cependant que le Ciel, dont ils craignent le courroux, se révèlera étrangement indifférent à cet accident généalogique.
Cherchant toujours la femme idéale, et désespérant de jamais revoir l'inaccessible impératrice, le prince adoptera la petite Murasaki, orpheline découverte par hasard et qui n'est autre que la nièce de celle-là. Après des années consacrées à l'éducation de l'enfant, il en fera la maîtresse de sa maison à la mort de son épouse première, fille d'un ministre, qui lui avait été imposée pour des raisons politiques.
Cependant, la saison des amours frivoles est passée ; le vieil empereur est mort après avoir cédé le trône à son fils aîné. Une intrigue imprudente avec la favorite du souverain, fille du ministre tout-puissant, le contraint à un exil de trois années, loin de la ville. Il en reviendra mûri, prêt à jouer le jeu de l'ambition, voire à faire des amours des autres un usage politique. Ministre à son tour, il décide, dès sa naissance, que la fille qui lui est née d'une dame de la province de son exil sera impératrice. Plus tard, il se résoudra à prendre pour épouse principale, quoi qu'il puisse en coûter à Murasaki, la troisième fille de l'ancien empereur son frère.
Celle-ci cependant cèdera aux instances d'un jeune homme,[...]
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Écrit par
- René SIEFFERT : professeur à l'Institut national des langues et civilisations orientales
Classification
Autres références
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LE DIT DU GENJI (GENJI MONOGATARI), Murasaki Shikibu - Fiche de lecture
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JAPON (Arts et culture) - La littérature
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