CAMONDO MUSÉE NISSIM DE, Paris
Le musée Nissim de Camondo, à Paris, en bordure du parc Monceau est, comme Chantilly depuis la mort du duc d'Aumale, dans l'état qui était le sien le jour où son créateur, après avoir voulu donner sa demeure au public, disparut. À sa mort, le comte Moïse de Camondo (1860-1935) légua en effet au musée des Arts décoratifs, son hôtel particulier et ses collections. Issus d'une puissante famille de banquiers de Constantinople, devenus « juifs de cour » comme l'on disait au xixe siècle, les Camondo, qui affichaient de lointaines origines vénitiennes, avaient été anoblis en 1867 par le roi Victor-Emmanuel II, souverain d'une Italie nouvellement réunifiée grâce, entre autres, à leur appui financier.
L'installation des deux frères Camondo, « les Rothschild de l'Orient », Abraham (1829-1889) et Nissim (1830-1889) dans le Paris du second Empire, en pleine « fête impériale », se fait dans ce quartier à la mode loti par d'autres banquiers d'origine juive, les frères Pereire. Ils se font construire deux hôtels qui inspireront Zola dans La Curée. Les ambitions d'Isaac (1851-1911), fils d'Abraham, et de Moïse, fils de Nissim, sont d'un autre ordre que celles de leurs parents : intellectuels, collectionneurs, les deux cousins souhaitent adopter le goût français dans ce qu'il a, à leurs yeux, de plus raffiné et dans le ton de leur époque : Isaac, célibataire, fanatique de théâtre et musicien, achète de la peinture impressionniste, de l'art extrême-oriental, des œuvres du xviiie siècle – la grande passion de Moïse, qui ne rêve, lui, que du temps des Lumières, remis à la mode par les frères Goncourt. À sa mort, les collections d'Isaac allèrent au Louvre, consécration suprême qui le place sur le même plan qu'un Rothschild : Manet (Le Fifre), Cézanne (Les Joueurs de cartes, La Maison du pendu), Sisley, Degas, Van Gogh entrent au musée grâce au mobilier de provenance royale qui constitue, aux yeux des autorités, le point fort de ce legs et en a justifié l'acceptation. Moïse, qui a épousé Irène Cahen d'Anvers, fait construire pour ses enfants, par l'architecte René Sergent, un nouvel hôtel sur l'emplacement de celui de son père : inspirée par Jacques-Ange Gabriel, la nouvelle construction reprend en partie la façade du Petit Trianon. Un jardin de broderies dessiné par Achille Duchêne, borde le parc public dont il est séparé par une grille.
Le projet intellectuel de Moïse de Camondo était, de reconstituer « une demeure artistique du xviiie siècle ». Il explique, dans son testament, ce projet, témoin d'une époque où le goût se mêlait de nationalisme et d'affectivité : « Cette reconstitution doit servir dans ma pensée à conserver en France, réunis en un milieu spécialement approprié à cet effet, les plus beaux objets que j'ai pu recueillir de cet art décoratif qui a été une des gloires de la France, durant la période que j'ai aimée entre toutes. »
Pour Moïse de Camondo, rien n'est innocent dans cette collection : portraits de Necker par Joseph-Siffred Duplessis ou de Sophie Le Couteulx par Élisabeth Vigée Le Brun sont là pour rattacher le maître des lieux aux grandes familles de banquiers cultivés du xviiie siècle, de nombreuses vues de Paris alternent avec des vedute de Venise, une aquarelle représente Chantilly... On peut faire, dans les salles de « Camondo », un cours sur le mobilier et les arts décoratifs en France dans la seconde moitié du xviiie siècle ; aucun grand ébéniste ne manque à l'appel : Bernard II Van Riesen Burgh (BVRB), Jean-François Œben, Martin Carlin, Jean-Henri Riesener, Adam Weisweiler, Claude-Charles Saunier, Nicolas-Quinibert Foliot, Georges Jacob, Jean-Baptiste Sené. Les élèves de l'« École Camondo », fondée par l'Union centrale des arts décoratifs en 1946[...]
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Écrit par
- Adrien GOETZ : agrégé de l'Université, ancien élève de l'École normale supérieure, maître de conférences à l'université de Paris-IV-Sorbonne
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