QUAI BRANLY-JACQUES CHIRAC MUSÉE DU, Paris
Présenté comme l'institutionnalisation d'une forme d'art qui, jusqu'alors, n'existait que dans les vitrines des musées d'ethnologie ou au travers du marché de l'art, le projet de musée des Arts et Civilisations d'Afrique, d'Asie, d'Océanie et des Amériques, ou musée du quai Branly, implique le regroupement des deux plus importants musées ethnologiques français : le musée de l'Homme, partie intégrante du Muséum national d'histoire naturelle, et le musée des Arts africains et océaniens (MAAO). L'aspect vieillissant de ces deux institutions ainsi que l'engouement pour les arts dits primitifs poussèrent le chef de l'État, Jacques Chirac, conseillé sur ces questions par son ami le collectionneur Jacques Kerchache (1942-2001), à retenir, en 1996, ce grand projet culturel pour marquer sa présidence : la construction d'un musée novateur – rebaptisé musée du quai Branly-Jacques Chirac en 2016 – où les objets ethnographiques seraient enfin considérés comme des œuvres d'art à part entière.
Inauguré par Jacques Chirac en 2000, le pavillon des Sessions du Louvre préfigurait les orientations théoriques du futur musée du quai Branly. Près de cent vingt chefs-d'œuvre des « arts premiers » ont alors été regroupés dans cet écrin prestigieux dans le but déclaré de réconcilier l'esthétique et l'ethnologie.
L'alliance ainsi imposée à l'histoire de l'art et à l'anthropologie, deux disciplines qui, en France du moins, s'attachaient à se confiner dans des espaces bien distincts, ne se fit pas sans heurts.
Le débat sur la place des « arts primitifs »
L'absence de concertation préalable de la communauté ethnologique, ainsi que le déménagement annoncé d'une partie des collections ethnologiques du musée de l'Homme (250 000 pièces) et du MAAO (24 000 pièces), eut pour effet de plonger les ethnologues dans une profonde inquiétude, à peine tempérée par la nomination de Maurice Godelier – remplacé ensuite par un autre ethnologue, Emmanuel Desveaux – à la tête du projet pour l'enseignement et la recherche de l'établissement public du musée du quai Branly.
Au-delà des questions de susceptibilité disciplinaire, c'est le croisement des regards proposés par les concepteurs du musée qui fit couler beaucoup d'encre. Affirmer que l'entrée des arts « primitifs » au Louvre était une nouveauté reposant sur un élargissement de la définition de l'esthétique, revenait à oublier les réflexions sur les « arts lointains » développées par Félix Fénéon dès 1920. Ce dernier, interrogeant vingt intellectuels de l'époque (ethnographes, explorateurs, artistes, esthéticiens), statuait déjà sur la nécessité de voir les arts lointains figurer en bonne place au Louvre. Par ailleurs, prétendre que le rapprochement des arts occidentaux et des arts africains, océaniens, asiatiques et américains produirait un sens épistémologique original est une gageure. En effet, cette rencontre a déjà eu lieu au début du xxe siècle lorsque les artistes fauves, cubistes et surréalistes décidèrent de rompre avec le modèle artistique dominant, l'art symboliste, en intégrant dans leurs propres productions la statuaire africaine. Si les représentations des mers du Sud de Gauguin étaient encore empreintes, selon Robert Goldwater, d'un ineffable « primitivisme romantique », Picasso et les cubistes rendirent cette référence à l'art non occidental plus concrète et plus nettement axée sur l'esthétique. La qualité des pièces n'avait en soi aucune importance : « on n'a pas besoin d'un chef-d'œuvre pour se faire une idée », notait malicieusement Picasso. C'est leur étude formelle, et non la compréhension de leur contexte culturel souvent totalement éludée, qui favorisa la reconnaissance des arts primitifs par[...]
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Écrit par
- Julien GUILHEM : ethnologue, rattaché au Centre d'étude et de recherche comparatives en ethnologie, chargé de cours à l'université Paul-Valéry (Montpellier-III)
- Barthélémy JOBERT : ancien élève de l'École normale supérieure, professeur à l'université de Paris-IV-Sorbonne
Classification
Média
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