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MUSÉE IMAGINAIRE

André Malraux - crédits : Bettmann/ Getty Images

André Malraux

« J'ai dit à Picasso que le vrai lieu du Musée imaginaire est nécessairement un lieu mental » (La Tête d'obsidienne, Paris, 1974) : paraphrasant à son insu sans doute Léonard de Vinci pour qui « la peinture est chose mentale » (cosa mentale), Malraux se plaît à rappeler cette phrase au détour d'un long entretien qu'il eut avec Picasso qui l'interrogeait, avant la parution de son essai sur le Musée imaginaire.

L'expression dont l'auteur des Voix du silence (1951) intitulait déjà un fragment des Essais de psychologie de l'art (1947) a connu depuis une fortune considérable. Victime de son succès, l'expression est très galvaudée aujourd'hui, chacun se croyant désormais assuré de porter en lui son « musée imaginaire », le petit corpus de ses goûts personnels, le catalogue privilégié et exhaustif des œuvres qui, au hasard des rencontres, ont frappé son attention ; ce prétendu musée semble devenu le pendant dérisoire (dans le domaine plastique) de la dérisoire bibliothèque minimale que chacun « aimerait emporter avec lui sur une île déserte ». Aussi l'expression commence-t-elle à irriter les « esprits forts » de notre temps : « La seule idée d'un musée imaginaire me paraît stupide. C'est célébrer le culte de sa propre personnalité à travers les œuvres des autres. » Pierre Boulez n'a certes pas tort, mais Malraux semble lui faire écho quand il rappelle (dans La Tête d'obsidienne) : « Picasso savait qu'il n'y était pas question du musée des préférences de chacun, mais d'un musée dont les œuvres semblent nous choisir, plus que nous ne les choisissons. Le Musée imaginaire, qui ne peut exister que dans notre mémoire, n'est pas non plus un Louvre développé. Celui de Baudelaire accueille quatre siècles ; le Musée imaginaire, cinq millénaires, l'immémorial sauvage et préhistorique [...]. Les dieux et les saints sont devenus des statues ; la métamorphose est l'âme du Musée imaginaire. La foule des œuvres de toutes les civilisations n'« enrichit » pas le Louvre, elle le met en question. »

En fait, ce musée n'a de musée que le nom : impossible musée puisque imaginaire, et rassemblement improbable d'œuvres dispersées ou enracinées dans un site irremplaçable. Seule l'imagination est capable d'enjamber l'espace et de chevaucher le temps pour rassembler l'impossible. Aussi la seule visualisation accessible au projet de ce musée est-elle encore le livre « illustré » (« Les musées, même imaginaires, n'ont de cathédrales, de cavernes, de grottes et d'hypogées, qu'en photo »). Pendant dix ans (entre 1946 et 1957), Malraux, qui l'avait fort bien compris, s'applique dans ses livres à établir un silencieux dialogue entre des objets indifférents et très différents : il découvre les relations tendues d'un millénaire (ou d'un siècle) à l'autre par l'univers des formes et de l'expression, cette familiarité fortuite qui permet de comparer l'agrandissement d'une monnaie gauloise à l'art des Scythes ou la monumentalité de certaines enluminures médiévales aux fresques héroïques d'autres temps. Bien que, lucide magicien, il sache que « la reproduction a créé des arts fictifs en faussant systématiquement l'échelle des objets » et qu'il prenne à son compte la réflexion de Picasso : « Un peintre ne doit jamais faire ce que les gens attendent de lui. Le pire ennemi d'un peintre (et de la peinture), c'est le style [...]. La peinture, elle le trouve quand vous êtes mort. Elle est toujours la plus forte. »

Le musée imaginaire est bien un concept moderne, celui d'une époque qui a pu confronter les civilisations les plus diverses, les plus lointaines, les plus étrangères l'une à l'autre, et il en[...]

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André Malraux - crédits : Bettmann/ Getty Images

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