MUSÉES DES SCIENCES ET TECHNIQUES
Article modifié le
Langages et moyens
Prendre en compte l'histoire de la constitution des savoirs scientifiques est indispensable à l'élaboration d'une culture générale, laquelle inclut bien évidemment ses aspects scientifiques et techniques. Mais le musée de sciences n'est pas seul à pouvoir donner cette information. Journaux, revues, ouvrages, documentaires ou sites Internet sont autant de médias susceptibles de remplir cette fonction. Le musée de sciences, face à cette concurrence de plus en plus aiguë, doit toujours innover pour formuler les langages les mieux adaptés. C'est à ce niveau que l'objet retrouve toute sa légitimité. L'instrument, la machine, l'outil peuvent alors offrir au visiteur un moyen d'attiser sa curiosité par la surprise, la mémoire ou le choc esthétique. Voir la machine à calculer de Pascal au musée des Arts et Métiers, le baquet de Mesmer au musée d'Histoire de la médecine à Lyon ou visiter du Concorde 001 au musée de l'Air et de l'Espace du Bourget apporte plus qu'une image ou à un film. L'authenticité de l'objet historique, sa présence, sa charge affective, sa technicité même sont partie intégrante de l'expérience de visite. Les centres de sciences ont tôt mesuré l'impact très fort de l'objet en trois dimensions autour duquel on peut tourner et – avantage notable sur le musée classique – qu'on peut toucher, manipuler, faire fonctionner. Ce ne sont alors plus des objets originaux qu'on mobilise, mais des modèles de démonstration. En Europe, la CosmoCaixa de Barcelone, inaugurée en 2005, est l'un des rares musées de sciences à offrir de nombreuses expériences sensibles associées à une muséographie d'immersion (la forêt tropicale) dans une optique d'abord familiale.
La raison d'être des modèles est avant tout de permettre de comprendre une structure technique (le fonctionnement d'une horloge), un principe physique ou chimique (l'électromagnétisme ou la circulation du sang) ou encore l'anatomie d'un organisme (la fourmi, la fleur). Mais, alors que ces modèles étaient, surtout depuis le xixe siècle, couramment utilisés dans les écoles ou les universités pour accompagner le discours de l'enseignant, la représentation de l'objet ou de l'être vivant dans son contexte d'usage ou de vie a nécessité la mise en place dans les musées de scénographies de plus grande dimension. Dans le domaine des sciences naturelles et des techniques, les dioramas jouent encore aujourd'hui un rôle essentiel par leur attractivité comme par leur efficacité. La reconstitution de la grotte de l'Arago au musée de Préhistoire de Tautavel, réalisée en 1992, reprend le principe scénographique des grands dioramas de la faune d'Europe centrale au musée d'Histoire naturelle de l'université Humboldt de Berlin, créés dans les années 1930. Le même mouvement de mise en scène de l'objet dans son milieu a été également réutilisé par Georges-Henri Rivière lors de la création des intérieurs ruraux régionaux au Musée national des arts et traditions populaires, en 1937. Dans tous ces cas, le visiteur se projette à l'intérieur d'un micro-monde qui suscite son imagination tout en répondant à sa soif de connaissance.
Durant les dernières décennies, vraisemblablement pour répondre à l'attrait des parcs de loisirs invitant le visiteur-touriste à une expérience sensible d'immersion totale, les musées de sciences, comme les musées de société, ont mis en œuvre des scénographies encore plus ambitieuses au sein desquelles les publics sont invités à pénétrer. La célèbre mine du Deutsches Museum de Munich, installée au début du xxe siècle, jouait déjà ce rôle. Son succès a conduit les musées techniques de Prague ou de Milan, notamment, à en reproduire le principe. Le moyen n'est donc pas nouveau, mais il a été remis au goût du jour dans les musées de sites industriels, où des mines-images ont été recréées à l'intérieur de véritables bâtiments miniers, de même que dans les aquariums, par exemple Océanopolis à Brest, où des animaux vivants évoluent dans des milieux naturels reconstitués.
Cette muséographie d'immersion totale a été poussée très loin au musée canadien des Civilisations ouvert en 1986 à Gatineau (Québec). Là sont reconstitués des rues, des ports, des habitations dans lesquels les visiteurs circulent librement. Il s'agit pourtant bien d'un musée, dans le sens où de nombreux objets authentiques y sont présentés, avec ou sans vitrines, dans leur « milieu naturel ». Dans ces réalisations, l'ambiance lumineuse et sonore – voire olfactive comme au Jorvik Viking Centre de York – sollicite tous les sens du visiteur, réduisant d'autant la part du texte dans les salles d'exposition.
L'écrit occupe pourtant dans le musée une place singulière. Longtemps considérés comme supports d'un discours oral, les musées de sciences sont souvent avares de textes. Les étiquettes de simple désignation des objets présentés constituent traditionnellement, dans les musées d'histoire naturelle en particulier, la principale source d'information. Les autres textes consistent en des titres et des résumés synthétiques en entrée de salle ou pour présenter un thème. C'est pour répondre à la demande croissante d'explications d'un public de moins en moins nourri de culture scientifique que les conservateurs ont, dans les années 1970, donné plus de place aux textes explicatifs dans les musées et les expositions. Mais cela s'est fait au détriment de l'intérêt pour les objets exposés et sans prendre en compte les besoins de publics étrangers, jeunes, voire peu familiers de la lecture. Ces « expositions panneaux » qu'on rencontre encore parfois aujourd'hui ne comblent donc que les érudits qui les conçoivent. On peut voir dans cette tendance, désormais en régression, la nécessité de rendre le musée accessible à tout un chacun sans recourir à un médiateur. Toutefois, il est intéressant de remarquer que ces textes répondent à un réel besoin exprimé par les visiteurs des musées de sciences, alors que les explications écrites disponibles dans les musées d'art, souvent minimalistes, satisfont, au moins en apparence, leurs visiteurs.
C'est en tout cas pour répondre à ce besoin que, notamment depuis les rénovations des musées de l'Éducation nationale en France, de nouveaux moyens de divulgation ont été imaginés ou réactivés. Les audioguides, apparus dans les années 1990, sont désormais présents presque partout. Leur avantage est de transmettre des informations, voire de raconter des histoires d'une manière autonome pour le visiteur ; ils permettent aussi de résoudre la délicate question des visiteurs étrangers. Les systèmes d'audioguidage s'enrichissent, depuis les années 2000, de nouveaux supports multimédias individuels, qui viennent compléter l'offre audiovisuelle déjà présente dans les salles. L'accélération des progrès techniques en matière d'outils de communication individuels oriente les musées vers le recours aux smartphones aptes à guider le visiteur dans une exposition, un musée, un site, tout en lui permettant de récolter de multiples informations qu'il pourra, au besoin, consulter chez lui, après la visite, sur son ordinateur personnel. En l'occurrence, cette tendance concerne toutes les catégories de musées, sites ou villes touristiques.
Dans le vaste catalogue des moyens d'accès à l'information, le musée de sciences de l'ère de l'électronique et du numérique n'a pas échappé à l'expérience presse-bouton, que les centres et musées des années 1980 ont largement utilisée. Qu'il s'agisse du gros bouton-poussoir déclenchant la chute d'une bille ou une séquence animée, ou du clavier virtuel sur un écran plat, l'attitude du visiteur est similaire ; on assiste parfois au comportement quasi compulsif de jeunes publics activant successivement un grand nombre de séquences sans pour autant saisir le sens du message. La professionnalisation des métiers des musées a notamment eu comme conséquence la remise en cause de certaines pratiques, dont l'inefficacité a été vérifiée, et le recours à des formes d'interactivité plus efficaces, tout en gardant l'attractivité du moyen : cartels électroniques, expériences sensorielles telles celles de la Cité des enfants (Cité des sciences et de l'industrie).
Parallèlement au développement de ces supports d'information individuels, les musées de sciences, qu'ils présentent ou non des collections, sont revenus progressivement à une pratique traditionnelle mais quelque peu oubliée à l'âge de la télévision : celle du médiateur ou du guide, reprenant la mission pédagogique du « démonstrateur » telle que l'avaient imaginée les fondateurs du Conservatoire des arts et métiers en 1794.
Accédez à l'intégralité de nos articles
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Bruno JACOMY : conservateur en chef honoraire du patrimoine
Classification
Autres références
-
CITÉ DES SCIENCES ET DE L'INDUSTRIE
- Écrit par Michel VAN-PRAËT
- 1 715 mots
- 2 médias
Située dans le xixe arrondissement de Paris, au sein du parc de la Villette, la Cité des sciences et de l’industrie a été inaugurée le 13 mars 1986 par le président François Mitterrand. Englobant alors la Géode – ouverte aux spectateurs un an auparavant –, elle constitue une institution majeure...
-
ÉCOMUSÉES INDUSTRIELS
- Écrit par Louis BERGERON
- 2 510 mots
L'hypothèse est dans l'air aujourd'hui d'une crise durable de fréquentation des musées. Le tassement ou la baisse de la clientèle tiendraient à plusieurs facteurs : la difficulté pour un musée de se renouveler, puisque par définition il vit sur des collections qui ne peuvent...
-
LEWARDE CENTRE HISTORIQUE MINIER DE
- Écrit par Jack LIGOT
- 874 mots
Le Centre historique de Lewarde se situe au cœur du bassin minier, à quelques kilomètres de Douai, dans le Nord. Installé sur le carreau de l'ancienne fosse Delloye, fermée en 1971, il en réutilise les 7 000 mètres carrés de bâtiments et de superstructures, sur un site de huit hectares....
-
MUSÉE DES ARTS ET MÉTIERS, Paris
- Écrit par Bruno JACOMY
- 1 540 mots
- 1 média
Le musée des Arts et Métiers, une des composantes du Conservatoire national des arts et métiers (CNAM), est l’un des plus anciens et des plus riches musées techniques et industriels du monde. Créé en 1794 sous la Révolution française et installé depuis 1800 dans l’ancien prieuré de Saint-Martin-des-Champs,...
- Afficher les 9 références
Voir aussi