MUSÉOLOGIE
Crises de l'institution muséologique
En mai 1968, un groupement de professionnels s'institua spontanément à Paris pour contester les musées, considérés comme des institutions « bourgeoises ». Aux États-Unis d'Amérique, des artistes tentent de se grouper pour rejeter l'art et les musées. En 1970, Vasarely écrit : « Je veux en finir avec tout ce qui précisément fait le musée : l'œuvre unique et irremplaçable, le pèlerinage, la contemplation passive du public. » Cette attitude n'est pas nouvelle ; on pourrait même dire qu'elle est dans l'histoire de la muséologie une sorte de rituel ; au début du siècle, Maurice Barrès, Salomon Reich (lui-même conservateur de musée) traitaient les musées de « morgues », de « cimetières », d'« hypogées », les peintres fauves parlaient de les brûler, ce qui, non plus, n'était pas original, car dans l'aile avancée de l'atelier de David on voulait déjà le faire au début du xixe siècle.
Cependant, le conflit dépasse la crise de conscience ; c'est un trouble fonctionnel. En mai 1968, des étudiants allèrent jusqu'à réclamer la suppression des musées et la dispersion des collections dans les milieux de la vie quotidienne (« La Joconde au métro »). Ce mouvement faisait écho à une réunion de directeurs des maisons de la culture, qui s'était tenue peu avant à Villeurbanne, et qui, récusant le « public », déclarait ne marquer d'intérêt que pour le « non-public » et prétendait donner à ces institutions un pouvoir de choc révolutionnaire. Axées principalement sur le théâtre, mais organisant aussi des expositions d'art plastique, principalement moderne, les maisons de la culture ont été ouvertes par la Ve République, pour être des centres de réanimation culturelle de la province française (province qui commence aux abords de Paris). Leur activité reposant sur des manifestations temporaires, elles paraissent mieux adaptées que les stables musées à l'esprit d'une époque qui recherche dans « l'événement » le principe même de son ethos. Mais les remaniements incessants que les conservateurs imposent à leurs collections, pour essayer d'attirer leurs compatriotes, déçoivent les touristes étrangers qui se heurtent aux mises en réserve « provisoires » que ces modifications entraînent, tandis qu'ils cherchent en vain des œuvres recommandées par les guides alors qu'elles ont été envoyées en exposition à l'autre bout du monde. En outre, les musées semblent étouffés par leur richesse même qu'accroissent d'une façon inéluctable les progrès de la socialisation des biens culturels ; cette richesse leur impose des charges auxquelles les moyens dont ils disposent – et qui n'augmentent pas en proportion – ne permettent pas de faire face. Sans toujours se prononcer ouvertement pour la « déculturation », une certaine tendance révolutionnaire, ne reconnaissant à la culture qu'une valeur de combat politique au service de la lutte des classes, tendrait plutôt à éloigner des musées ce « non-public » qui a une conception de ses loisirs fort différente de celle décidée pour lui par les directeurs des maisons de la culture et les conservateurs d'avant-garde, car il y cherche plutôt un détachement de sa vie militante, voire une évasion dans le passé. Cependant, en beaucoup de pays d'Europe, l'indice de fréquentation des musées – sauf pour quelques grandes institutions de caractère international – croît lentement, piétine, ou même régresse d'une façon alarmante. Ainsi, en Italie, qui avait connu un admirable essor muséologique, motivé par la reconstruction de l'après-guerre, nombre de musées de villes secondaires sont délaissés, ce qui entraîne pratiquement leur fermeture, ces musées n'étant plus ouverts que sur demande, pour le voyageur de[...]
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Écrit par
- Germain BAZIN : conservateur en chef au musée du Louvre, ancien élève de l'École normale supérieure, professeur à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle
- André DESVALLÉES : conservateur général, chargé de mission à la direction des musées de France
- Raymonde MOULIN : directrice de recherche émérite au CNRS
Classification
Médias
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