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MUSICOLOGIE

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Méthodes et objets

Les nouvelles perspectives de recherche, dans le domaine des musiques extra-européennes ou dans celui des œuvres électro-acoustiques, ont conduit peu à peu le musicologue à repenser et à diversifier sa méthode. Celle-ci a évolué et varié au cours des décennies, selon les aires géographiques : l'orientation a toujours été plus historique en France et plus esthétique de l'autre côté du Rhin.

Deux grandes tendances (distinguées déjà par Guido Adler à la fin du xixe siècle) se sont dessinées : la musicologie « historique » traditionnelle et la musicologie « systématique ». Cette dernière, allant de l'acoustique à la philosophie en passant par la pédagogie ou la sociologie, tente de faire mieux comprendre l'importance de la mise en relation de ces différentes disciplines.

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Si cette première distinction comporte déjà des choix méthodologiques, il ne faut pas oublier que la musicologie appartient également aux sciences de l'homme et aux sciences exactes (particulièrement à travers tout ce qui relève de la physique du son) et qu'elle devra viser tout à la fois à connaître ces faits esthétiques et à mettre en évidence les lois qui les régissent.

Dans le domaine proprement historique, la tradition des monographies, héritée des siècles précédents, a reculé quelque peu devant les études concernant les institutions musicales ou les travaux de type plus sociologique. Plus les recherches de détail se multiplient, plus s'impose la nécessité de puissantes synthèses, comme l'a bien montré Carl Dahlhaus dans Die Musik des 19 Jahrhunderts. Si le siècle romantique demeure moins exploité que les périodes plus anciennes qui intéressèrent en premier lieu les musicologues, si le répertoire de ces œuvres musicales est loin d'être scientifiquement établi, le nouvel intérêt pour cette époque, souvent fondé sur la lecture de la presse musicale plus accessible, apparaît clairement à travers la revue 19 Jahrhunderts, ou 19th Century Music (Univ. of California, Davis, depuis 1977).

Quant aux approches philosophiques ou esthétiques, souvent marquées encore par l'apport éminent des penseurs grecs ou de Kant, elles peuvent être extrêmement variées, comme l'a montré Enrico Fubini dans Les Philosophes et la musique.

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Les études sur la langue musicale sont apparues avec un certain retard par rapport aux développements historiques ou esthétiques. Là, l'Histoire de la langue musicale (Paris, 1911-1928) de Maurice Emmanuel fait presque figure d'ouvrage de pionnier. Se dégageant lentement des présentations impressionnistes ou abusivement descriptives, voire des habitudes d'analyse exclusivement harmonique si solidement implantées en France, les musicologues tentèrent d'établir progressivement une véritable « philologie musicale », s'intéressant de plus en plus à la phrase mélodique, à la liaison entre parole et musique ou à la mise en valeur de formes originales. Les méthodes de la linguistique sont également appliquées à l'art musical. La musique étant un langage, ses signes ont paru parfois pouvoir être analysés de la même façon que ceux de la langue parlée : la difficulté réside certes toutefois au niveau de la double articulation qui fait défaut dans la matière musicale. Mais les techniques de l'analyse musicale – indispensable à toute réflexion musicologique valable sur les textes – doivent nécessairement varier avec les genres, les styles et les époques : il ne saurait être question d'analyser de façon identique la Messe Notre-Dame de Guillaume de Machaut et le Pierrot lunaire de Schönberg ou encore une symphonie de Schubert et un ouvrage de musique électro-acoustisque. La méthode choisie dépendra étroitement dans chaque cas du matériau sonore utilisé, du système de références, des éléments prégnants de l'œuvre considérée.

Rendue tout à fait indispensable par les travaux sur la musique d'autrefois, comme par le développement de l'industrie du disque, la recherche sur l'interprétation musicale s'est également largement développée depuis la Seconde Guerre mondiale. L'essor de l'informatique artistique a aussi ouvert à cette discipline de nouvelles possibilités, tout comme l'intérêt pour la scénographie ou l'iconographie musicale.

Quels que soient toutefois ses objets et ses positions méthodologiques de départ, la musicologie a en outre à sa disposition de remarquables collections (telles celles du département de la musique de la Bibliothèque nationale de France, celle de la bibliothèque de l'Opéra de Paris, ou du Centre de documentation de la musique contemporaine à Paris), répertoires (le Répertoire international des sources musicales, R.I.S.M., depuis 1960, ou le Répertoire international de la littérature musicale, R.I.L.M., depuis 1967) ou guides (É. Weber, La Recherche musicologique ; S. Wallon, La Documentation musicologique ; J. Chailley, Précis de musicologie).

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Présente parmi les disciplines scientifiques de l'université médiévale, la musique disparut progressivement de ses enseignements pendant la Renaissance et s'est introduite dans nos facultés au cours du xixe siècle, dans les pays germaniques d'abord (à Bonn en 1826, à Berlin en 1830, à Munich en 1865, à Leipzig et à Strasbourg en 1872...). En France, les conférences musicales ne réapparurent que dans les ultimes années du xixe siècle.

Il faut souligner par ailleurs le grand nombre et la vitalité des fondations et centres de recherche spécialisés, tels ceux qui sont consacrés à Verdi à Parme (Istituto nazionale di studi verdiani) ou à Bruckner à Vienne (Internationale Bruckner-Gesellschaft), ainsi que des sociétés savantes.

La musicologie est donc une science en plein développement, dont l'extension se trouve liée, entre autres facteurs, à la progression de l'enseignement musical, ainsi qu'au développement du marché du disque, des mass media et des concerts.

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Mais la réussite des recherches historiques ne doit pas voiler l'importance de l'analyse des styles musicaux, qui reste encore à mener de façon plus systématique et dans un esprit de comparaison constant. Ce travail de réflexion sur les œuvres permettra de mieux éclaircir le paysage sonore des différentes époques et l'évolution des goûts musicaux de nos civilisations. Les recherches de ce type ne sauront être du reste qu'interdisciplinaires. Parmi toutes les collaborations souhaitables, celles des ethnomusicologues ou des contemporanéistes seront sans doute d'un considérable apport à la musicologie historique traditionnelle, tant sur le plan des connaissances que sur celui de la méthode.

La sémiologie musicale a pu nous initier à des études de détail plus minutieuses ; les recherches effectuées dans le cadre des musiques concrète, électro-acoustique ou spectrale ont permis de mieux appréhender l'univers des sons et le musicologue met à profit l'ordinateur pour ses recherches.

Toutefois, c'est très certainement au tréfonds de lui-même que ce spécialiste ira dorénavant chercher les analyses les plus justes et les plus nécessaires car, nanti du secours de la psychophysiologie ou de la neurologie, il espère toujours découvrir la raison d'être des effets réellement produits en lui par l'art des sons. La musicologie a dû s'imposer depuis la fin du xixe siècle comme une science objective ; elle s'efforce désormais d'acquérir une dimension plus humaine.

— Danièle PISTONE

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Écrit par

  • : docteur ès lettres, professeur à l'université de Paris-Sorbonne

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