ACOUSMATIQUE MUSIQUE
Perception et signification
« C'est avec Goethe et les Naturphilosophen qu'est apparue cette tendance à désigner du terme „archétype“ l'image originelle de structures complexes concrètes réalisées dans le monde organique (la patte, l'aile, la feuille, etc.) », écrit René Thom ; et il poursuit : « Je suis tenté d'identifier la structure ternaire de l'embryologie (endoderme, mésoderme, ectoderme), rencontrée plus particulièrement chez les vertébrés, avec la structure ternaire – sujet, verbe, objet – de la phrase transitive, type „le chat mange la souris“. L'association objet-proie/ectoderme est justifiée par le fait que l'ectoderme fabrique le tissu nerveux, [...] organe qui pour ainsi dire simule l'état du monde extérieur et contient, en tant que modèles, les formes des proies. »
Il nous a semblé intéressant de montrer, à titre d'exemple que l'archétype de la prédation et de la capture évoqué ici par René Thom permettait de classer par analogie les projections auditives en types de « prégnance » dynamique, selon les trois schèmes formels : capture, fuite et simulation (tabl. 1).
Toute vigilance – et l'écoute musicale en est une, singulièrement l'écoute en situation acousmatique – s'établirait ainsi à partir de références archétypes, constituant le dictionnaire des « mots » de notre appareil psychique, ou plus exactement de leurs « racines ».
À ce stade, déjà, il est possible de remarquer que bien des musiques ne cherchent en fait qu'à mettre en œuvre, à travers des figures variées, ces modes simples, afin de vérifier comment fonctionne l'étalonnage perception/signification.
C'est cet étalonnage qui constituera notre troisième approche (tabl. 2), où nous nous sommes arbitrairement efforcés de représenter par des couples de désinence ion/ance l'articulation extérieur/intérieur, l'interface action/effet.
On remarquera les deux hypothèses avancées dans cette présentation : celle d'une progression (verticale) des espèces dynamiques par accroissement des dimensions pertinentes dans l'espace-temps habituel, ou dans l'espace-temps déduit de ce dernier par l'extension électroacoustique, celle d'une mise en regard (horizontale) des formes perceptives et des images-cibles évoquées.
Les exemples d'images sont donnés à titre indicatif et dans les limites, vite atteintes, du vocabulaire utilisable.
Une quatrième approche pourrait compléter la précédente en insistant volontairement sur les figures du champ sémantique qui nous semblent « induites » dans la genèse et la prolifération des formes sonores produites et perçues en situation acousmatique. Les « relations imaginées » y seront figurées par des verbes (tabl. 3), constituant des pôles d'attraction, des formes sous-jacentes. N'oublions jamais que l'ouverture (dépensière) de l'écoute musicale est maintenue par une économie, cadrée par des systèmes de valeurs préexistantes, fonctionnant par transfert, analogie, « barre de mesure » assurant la cohérence et constituant des grilles de savoir.
La plus forte est la grille du langage, qui se réintroduit dans la fonction musicale sous diverses formes subreptices et d'autant plus prégnantes : solfège, indication des nuances, encadrement qualitatif guidant l'interprétation, écartant les fautes, améliorant la performance, assistant la compréhension, articulant l'espace des idées et le monde des réalisations selon des critères de valeurs « dicibles ». Quant à la grille la plus enfouie, elle se fonde sur l'expérience acoustique de stabilité/instabilité au contact des objets du monde spatio-temporel, et à la suite des actions (verbes, ici encore) que nous pouvons exercer sur eux, avec leurs conséquences sonores « indicibles ».
L'expérience[...]
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Écrit par
- François BAYLE : directeur du Groupe de recherches musicales de l'Institut national de l'audiovisuel, responsable de l'Acousmathèque
Classification
Médias
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