ALÉATOIRE MUSIQUE
Le hasard chez John Cage
L'aléatoire est au centre de la musique de John Cage. Le compositeur avait déjà expérimenté le hasard des sonorités avec son piano préparé (Concerto pour piano préparé et orchestre de chambre, 1951) en insérant des corps étrangers (gommes, écrous, vis, clous, papier...) à l'intérieur des cordes du piano afin d'en modifier la hauteur et le timbre.
Mais il y a prolifération chez Cage des techniques de hasard. Pour lui, libérer la musique consistait à la faire sortir de la forme fixe et, surtout, à accepter le son comme un organisme autonome, le laisser se déployer en dehors de toute considération logique ou esthétique car les sons préexistent dans la nature et le rôle du compositeur est précisément de les libérer.
L'aléatoire se situe autant au niveau de l'acte compositionnel que dans l'immense liberté laissée à l'interprétation. Le Concerto pour piano et orchestre (1958) n'a ainsi pas de durée définie : le chef décide lui-même du temps de l'exécution, il a la possibilité d'accélérer, de ralentir ou de suspendre le temps avec des gestes ; en face des musiciens qui sont en position d'attente, le chef donne des signes ; ces musiciens adoptent des positions d'attente en fonction de ces signes. Dans cette pièce le chef décrit des cercles avec ses bras ; il décide par exemple de décrire un quart de cercle en quinze secondes, fournissant ainsi des points de repère, mais il peut également choisir de ralentir ou d'accélérer son mouvement, ce qui perturbe le temps des événements choisis par les musiciens. Ceux-ci ont des choix à effectuer à l'intérieur même de leur partition. L'indétermination ou l'aléatoire de ce concerto – qui se compose de quatre-vingt-deux parties d'instrumentistes et dont chaque partie comprend seize pages et chaque page huit portées – réside dans le fait que chacun des musiciens décide de jouer tel nombre de pages ou de portées de sa partie. Le compositeur ou le chef n'interviendront pas sur ce choix. Il en résulte une partition différente à chaque exécution du concerto, même si cette partition ne sera jamais fixée sur du papier.
En détruisant la conception traditionnelle de la durée, cette introduction du hasard rendait inutile ce qui constituait l'arête centrale d'une pièce, c'est-à-dire sa structure. Ainsi, le procédé de composition, qui était jusqu'alors l'élaboration d'une structure impliquant un début et une fin, un tempo et donc une durée, devenait superflu. Disparaît alors le rôle de contrôle du phénomène sonore. Désormais, la musique ne vit que dans l'instant où l'exécutant actualise les sons.
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Écrit par
- Juliette GARRIGUES : musicologue, analyste, cheffe de chœur diplômée du Conservatoire national supérieur de musique de Paris, chargée de cours à Columbia University, New York (États-Unis)
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Médias
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