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MUSIQUE ET CINÉMA, LE MARIAGE DU SIÈCLE ? (exposition)

Les expositions sur le cinéma, attirantes au premier abord, s’avèrent parfois décevantes : manuscrits ou dessins de petite taille devant lesquels s’amassent les visiteurs, reproductions agrandies de photos connues, extraits de films qui passent en boucle (mais qu’il est plus facile de regarder devant son téléviseur)… C’est le catalogue qui, en général, permet le mieux de savourer son plaisir et de mesurer l’importance du travail accompli par les organisateurs : ces derniers temps, il est devenu un livre en soi, souvent plus riche que l’exposition elle-même.

<it>Le Narcisse noir</it>, de M. Powell et E. Pressburger - crédits : Collection Joel Finler/ The Archers/ Carlton International Media

Le Narcisse noir, de M. Powell et E. Pressburger

Musique et cinéma, le mariage du siècle ? (Cité de la musique, Paris, 19 mars-18 août 2013) ne procure aucune de ces déceptions. Il s’agit probablement d’une des meilleures expositions que le cinéma ait inspirées. Est-ce dû à la dimension sonore, souvent négligée dans ce type de manifestation, mais qui est ici la raison d’être du projet ? Certainement, mais en partie seulement. L’ingéniosité d’un commissaire imprégné de son sujet (N.T. Binh) et l’inventivité de l’équipe scénographique (dirigée par Clémence Farrell) expliquent le reste.

Bernard Herrmann, Michel Legrand, Nino Rota...

Alexandre Desplat, Jacques Audiard et Vincent Segal - crédits : X. Forcioli

Alexandre Desplat, Jacques Audiard et Vincent Segal

Le visiteur baigne d’emblée dans la musique, tandis qu’une disposition technique astucieuse et intelligente évite la cacophonie ou la bousculade : on regarde les notes écrites, les extraits de films, les portraits, les génériques évocateurs et, quand un lieu d’écoute se libère, on s’y installe ; rien que pour soi, les compositeurs de musique de films y murmurent des confidences, se laissent surprendre au travail, se confient. Balisés par de superbes dessins de Maxime Rebière qui remplacent un fléchage et un étiquetage trop désincarnés, des documents inestimables, provenant d’archives du monde entier, ou des témoignages précieux recueillis pour l’occasion défilent comme si c’était uniquement pour soi.

On voit une scène du Rideau déchiré (1966) d’Alfred Hitchcock sans musique, telle qu’elle est dans le film ; une simple manipulation numérique permet de revoir la scène, cette fois avec la partition de Bernard Herrmann que le cinéaste refusa, mettant ainsi fin à un des plus beaux mariages entre musique et cinéma. Et à l’intérieur du vaisseau spatial de 2001 :l’Odyssée de l’espace (1968), le stylo flotte en apesanteur, accompagné, comme le sait notre mémoire, du Beau Danube bleu de Johann Strauss, mais également, à l’aide d’une simple commande, de la superbe partition demandée par le studio inquiet (M.G.M.) à Alex North, et que Stanley Kubrick évita. L’équipe technique a en effet su mettre le numérique le plus sophistiqué au service de la sensibilité et de la poésie.

On apprend que Michel Legrand composa une partition ininterrompue pour L’Affaire Thomas Crown (1968), laissant à Norman Jewison le loisir d’utiliser les morceaux de son choix ; quand le réalisateur entendit la musique, non seulement il l’utilisa intégralement, mais il conçut sa propre mise en scène en fonction d’elle : d’où l’extraordinaire montage de la séquence érotique de la partie d’échecs qui alterne les plans fixes sur Steve McQueen et Faye Dunaway.

L’exposition vient à point nous rappeler que Nino Rota ne fut pas seulement l’alter ego musical de Federico Fellini, mais qu’il collabora également de façon suivie avec Luchino Visconti (Rocco et ses frères, 1960 ; Le Guépard, 1963) et Francis Ford Coppola (Le Parrain, 1972). On mesure ce que Georges Delerue apporta au Mépris (1963) de Jean-Luc Godard : un lyrisme que la mise en scène réprimait. On s’étonne d’apprendre que la scène de la chanson d’Anouk Aimée dans Lola (1961) de Jacques Demy fut tournée alors que Michel Legrand n’en avait pas encore composé la musique : c’est à la vue du résultat final que l’inspiration lui vint. Et combien de musiciens oubliés, notamment français, que cette [...]

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Écrit par

  • : historien du cinéma, professeur émérite, université de Caen-Normandie, membre du comité de rédaction de la revue Positif

Classification

Médias

<it>Le Narcisse noir</it>, de M. Powell et E. Pressburger - crédits : Collection Joel Finler/ The Archers/ Carlton International Media

Le Narcisse noir, de M. Powell et E. Pressburger

Alexandre Desplat, Jacques Audiard et Vincent Segal - crédits : X. Forcioli

Alexandre Desplat, Jacques Audiard et Vincent Segal