KLEZMER MUSIQUE
Le klezmer désigne la musique instrumentale juive d'Europe de l'Est ainsi que ses variantes plus contemporaines. À l'image d'autres traditions juives, le klezmer est une musique de l'exil fortement marquée par son environnement géographique et culturel. Jusqu'au début des années 1990, le genre est assez méconnu du grand public français. En 1989, le succès du film d'Emir Kusturica, Le Temps des Gitans, et les chansons à succès des Gypsy Kings propulsent les musiques tsiganes sur le devant de la scène, permettant la découverte de la musique klezmer, aux sonorités proches.
Le terme « klezmer » dérive de l'hébreu kli zemer qui signifie littéralement « instruments du chant ». Il désigne, à l'origine, une musique instrumentale jouée dans les communautés juives d'Europe de l'Est lors des mariages, des cérémonies officielles et de certaines fêtes religieuses où la pratique instrumentale est tolérée par les autorités rabbiniques. En effet, après la disparition du second Temple en 70 après J.-C., les instruments ont été écartés de la synagogue, à l'exception du shofar, corne de bélier, que l'on fait résonner en souvenir du sacrifice d'Isaac, lors des fêtes du Nouvel An (Rosh Hashanah) et du Grand Pardon (Yom Kippour).
C'est dans un manuscrit du xvie siècle conservé au Trinity College de Cambridge, que le terme « klezmer » désigne pour la première fois le musicien et non plus l'instrument. Le terme est alors péjoratif : en argot, il désigne un voleur, un criminel. C'est ainsi que la société perçoit ces musiciens miséreux et sans éducation, jouant d'oreille une musique populaire pour gagner leur vie. Le terme klezmerishe musik est entériné bien plus tard, en 1937, dans l'essai du musicologue Moshe Beregovski Yiddishe Instrumentalishe Folksmuzik.
Histoire de la musique klezmer
Les klezmorim, des musiciens itinérants
Les klezmorim (pluriel de klezmer) actuels descendent des musiciens juifs qui appartenaient à la classe des saltimbanques jusqu'à la fin du Moyen Âge. Ces ménestrels jouent un répertoire composé de chants, de morceaux instrumentaux, mais aussi de récitations, de poésies et de longues épopées. Au xiiie siècle, ils exercent leur art au côté des troubadours provençaux, des trouvères du nord de la France ou des Minnesänger d'outre-Rhin. Lorsqu'ils se produisent devant une assemblée juive, ils ajoutent à leur répertoire quelques sujets tirés de la Bible ou de commentaires bibliques.
Au xive siècle, un regain d'antijudaïsme embrase le monde chrétien. En France, dès 1306, Philippe IV le Bel expulse massivement les juifs du royaume de France et saisit leurs biens, puis Charles VI ordonne, en 1394, leur expulsion définitive. En Espagne, les juifs sont massacrés ou contraints à la conversion (1391) avant d'être expulsés en 1492 sous le règne d'Isabelle la Catholique. Au siècle suivant, au temps de la Réforme et de la Contre-Réforme, les juifs se voient enfermés dans des ghettos (Venise 1516, Rome 1555...) ou des quartiers distincts (juiverie, carrière...), renforçant ainsi leur pauvreté et leur isolement. De nombreuses communautés disparaissent ou se tournent vers le mysticisme. À Safed, en Galilée, le rabbin et kabbaliste Isaac Louria (1534-1572) élabore une approche mystique originale qui privilégie la musique comme mode d'accès au divin. Cette doctrine, reprise par le mouvement hassidique au xviiie siècle, favorise l'introduction d'une pratique vocale ou instrumentale dans de nombreuses communautés. L'accueil musical du Shabbat est considéré par les kabbalistes comme un commandement important. C'est ainsi qu'à Prague, au xviie siècle, les chanteurs de la prière « Barukh she-Amar » jouent de la musique instrumentale à la synagogue tous les vendredis après-midi.[...]
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Écrit par
- Hervé ROTEN : directeur de l'Institut européen des musiques juives, docteur en musicologie, université Paris-IV-Sorbonne
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Médias