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MUSIQUE SOUS L'OCCUPATION

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Éduquer et divertir

La guerre a des incidences sur la diffusion et la réception de la musique : le développement du chant choral et la création des Jeunesses musicales de France (J.M.F.) témoignent d’un souci d’éducation et de formation du public ; le succès des concerts symphoniques traditionnels et la création des Concerts de la Pléiade d’une part, mais aussi la vogue du jazz et de la chanson de variétés, hors des sentiers battus de la musique classique, montrent qu’à la profusion de l’offre répond une demande non moins forte ; l’essor du disque et le rôle de la radio viennent confirmer cette réalité.

Destiné à développer la connaissance de la musique, le chant choral est considéré comme un art d’importance nationale. Sa pratique mérite donc d’être popularisée. Si, depuis 1792 et la naissance des chants révolutionnaires, il constitue un enjeu politique, il devient à partir de 1940 une « affaire d’État ». L’engagement du gouvernement dans la formation des jeunes par le chant choral apparaît comme une nouveauté. Les Chantiers de jeunesse offrent un cadre idéal pour une pratique représentant une valeur morale et considérée comme une école de discipline. La « drôle de guerre » puis l’Occupation offrent un contexte favorable à la naissance en 1942 des J.M.F., dont la mission éducative ne vise pas la formation d’amateurs qui pratiquent la musique, mais celle de mélomanes, appelés à alimenter le public des salles de concerts, à acheter des disques et à écouter la radio. Généreusement encouragée par l’État, cette entreprise comble les organisateurs de concerts en leur promettant un public potentiel. Avec clairvoyance, la firme de disques La Voix de son maître s’engage dès le début dans une aventure qui contribue à alimenter le marché de la musique.

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Les associations symphoniques (Concerts Pasdeloup, Colonne et Lamoureux et Orchestre de la Société des concerts du Conservatoire), dont la tradition est solidement ancrée depuis le xixe siècle dans la vie musicale parisienne, poursuivent et développent leurs activités et participent, elles aussi, à l’action des J.M.F. Par rapport aux saisons d’avant-guerre, le nombre de concerts augmente sensiblement, et le public est plus nombreux. Si le répertoire intègre des « festivals » consacrés à Beethoven ou à Wagner, la musique française n’en demeure pas moins bien représentée dans les programmes. On note un nombre important de créations d’œuvres de compositeurs français, parmi lesquels Marcel Delannoy, Henri Dutilleux, André Jolivet, Francis Poulenc, Florent Schmitt ou Olivier Messiaen. Ces orchestres n’en subissent pas moins les conséquences des lois d’exclusion et de l’occupation allemande : « aryanisés » dans leur appellation, les Concerts Colonne, dont le créateur Édouard Colonne était juif, deviennent les « Concert Pierné » ; les œuvres des compositeurs juifs (Mendelssohn, Dukas, Reynaldo Hahn, Milhaud) sont retirées des programmes, et les formations se trouvent amputées de leurs membres prisonniers et exclus.

Dans Paris occupé, à l’initiative de Gaston Gallimard, les Concerts de la Pléiade naissent en 1943. Ils tirent leur nom de la collection créée par Jacques Schiffrin et intégrée en 1933 aux éditions Gallimard. Ces concerts, qui ont lieu tout d’abord à la galerie Charpentier devant un public d’élite formé d’intellectuels, d’artistes et de personnalités mondaines, puis à la salle Gaveau, ont pour particularité de vouer exclusivement leur programmation à la musique française, qu’il s’agisse de répertoire ancien, peu connu ou peu joué, ou d’œuvres de compositeurs contemporains, parfois inédites, voire spécialement composées pour cette série. C’est dans ce cadre que sont créées en 1943 les Visions de l’Amen d’Olivier Messiaen, ainsi que des œuvres de Francis Poulenc, André Jolivet ou Jean Françaix.

Alors qu’il a commencé à s’implanter en France en 1917 et qu’il est demeuré une musique marginale jusqu’en 1939, le jazz va connaître un succès inattendu sous l’Occupation. Des structures se mettent en place à cette époque, qui permettent au jazz de dépasser le simple phénomène de mode pour s’enraciner dans le paysage culturel français, ce dont témoigne en particulier l’essor des hot clubs. La pratique amateur se développe, tandis que la fréquence des concerts est doublée par rapport à celle des années 1930. On observe également une progression spectaculaire de la vente des disques. Le jazz – sous le nom de « Swing » – est l’objet de multiples appropriations : identification progressive de cet art nouveau en Europe, il va servir de point de repère à une identité collective propre à la jeunesse, notamment chez les zazous.

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De son côté, la chanson de variétés, qui est d’ailleurs parfois fécondée par le jazz, vit sous l’Occupation une de ses heures de gloire, d’autant qu’elle avait déjà, avant la guerre, cessé d’être engagée pour privilégier l’expression des sentiments. On ne peut que constater la profusion d’auteurs, de compositeurs, d’interprètes et d’orchestres, tout comme la multitude des styles et des thématiques. Parmi les principaux thèmes figurent la chanson d’amour, celle qui chante Paris et le village idyllique de la France rurale, celle qui invite à l’évasion par le rire, le rythme et l’exotisme dans l’espace et le temps. Timidement, la chanson suit parfois les événements de l’époque, ce dont témoigne par exemple La Symphonie des semelles de bois que chante Maurice Chevalier en 1943. L’histoire de la chanson de variétés est aussi celle de ses vedettes, et les grands noms sont ceux de la chanson d’avant-guerre et d’après-guerre : après l’exode de 1940, Édith Piaf, Charles Trenet, Maurice Chevalier, Tino Rossi ou Mistinguett font leur rentrée parisienne en 1940 ou 1941.

Devenu pendant l’entre-deux-guerres un vecteur désormais essentiel pour la diffusion de toutes les musiques, le disque connaît également une période faste. Les signes les plus marquants de ce développement imprévu sont la promotion du répertoire français contemporain et la mise à l’honneur de jeunes compositeurs. En juin 1940, Pathé-Marconi, filiale française du groupe E.M.I., se trouve coupé de sa direction londonienne, ce qui rend nécessaire la reconstitution du catalogue, les enregistrements d’artistes juifs étant supprimés ainsi que tous ceux réalisés hors de France. Le disque est considéré comme le meilleur outil de propagande et d’exportation de la production nationale à l’étranger, ce qui incite l’État à éditer une collection de disques consacrée à la musique contemporaine française. D’autre part, fait sans précédent, le disque devient aussi un moyen de promotion : de jeunes interprètes gravent leur disque plusieurs semaines, voire plusieurs mois, avant leur premier concert public, afin de le vendre à cette occasion comme produit dérivé.

La radio est un autre instrument de diffusion important. L’armistice génère une situation inédite : il y a d’une part Radio-Vichy, la radio de l’État français, qui émet en zone sud, et d’autre part Radio-Paris, la radio contrôlée par les Allemands, mais animée par des Français, qui émet en zone occupée et qui est la plus puissante. Si l’idéologie pétainiste imprègne l’ensemble des programmes de Radio-Vichy, la musique, instrumentalisée par la « Révolution nationale », occupe plus de la moitié des programmes. La musique française est évidemment privilégiée. En employant plus de 700 musiciens et en engageant des centaines d’artistes pour nourrir ses programmes, la Radiodiffusion nationale, qui exclut les musiciens juifs, est alors l’institution musicale française la plus importante. À Radio-Paris, la musique a une fonction politique : en occupant plus des deux tiers des programmes, elle est le principal ingrédient destiné à accompagner la propagande, et ses concerts représentent une véritable « arme de guerre ». Illustrant l’application de la stratégie nazie, le jazz et la musique française figurent au premier plan de la programmation. De plus, Radio-Paris achève d’asseoir sa position dans le paysage musical parisien en se dotant d’un orchestre qui, grâce à des cachets attractifs, draine la plupart des instrumentistes, et qui se produit gratuitement au Théâtre des Champs-Élysées.

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Écrit par

  • : docteure en musicolologie, habilitée à diriger des recherches, directrice de recherche en musicologie

Classification

Médias

L’Opéra-Garnier pendant l’Occupation - crédits : AKG-images

L’Opéra-Garnier pendant l’Occupation

1941 : les orchestres de l’Opéra de Berlin et du festival de Bayreuth en tournée à Paris - crédits : Ullstein Bild/ AKG-images

1941 : les orchestres de l’Opéra de Berlin et du festival de Bayreuth en tournée à Paris

Autres références

  • CHANSON FRANÇAISE

    • Écrit par
    • 5 010 mots
    • 8 médias
    L'Occupation, ce sont d'abord les persécutions dont sont victimes les artistes juifs, chassés des théâtres de la zone occupée, puis de toute la France, des ondes, des sociétés d'auteurs. Casimir Oberfeld (1903-1945), auteur de succès de Mistinguett, est assassiné en déportation, à Auschwitz. Certains...
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