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SPATIALISÉE MUSIQUE

En musique, l'espace est, avec le timbre, un paramètre qui sera pratiquement délaissé jusqu'au xxe siècle. Andrea Gabrieli et sa polychoralité, Hector Berlioz et ses rêves de masses orchestrales gigantesques, Gustav Mahler et ses orphéons ou ses fanfares militaires « lointaines », Claude Debussy et ses réflexions sur une musique construite spécialement pour le plein air, Charles Ives et sa musique « absorbant les bruits du monde » se sont certes attachés à cet aspect particulier du phénomène sonore, mais en l'envisageant plutôt comme une qualité incidente que comme un paramètre à part entière, à gérer avec la même rigueur que l'univers des hauteurs, par exemple.

Il faudra attendre la révolution électronique pour qu'un compositeur, Edgar Varèse, prenne pleinement en compte, dans son Poème électronique (élaboré de septembre 1957 à la fin d'avril 1958 et créé le 2 mai 1958), la spatialisation de la musique en disposant plus de quatre cents haut-parleurs à l'intérieur du pavillon Philips conçu par Le Corbusier et réalisé par Iannis Xenakis pour l'Exposition universelle de Bruxelles de 1958. À vrai dire, Varèse avait déjà déclaré en 1936 : « Je recherche, dans la projection du son, la qualité d'une troisième dimension dans laquelle les rayonnements sonores ressemblent aux rayons de lumière balayés par un projecteur. »

Iannis Xenakis et Karlheinz Stockhausen sont les compositeurs qui ont le plus réfléchi sur la spatialisation de la musique. Leurs réflexions, qui portent aussi bien sur la répartition du public ou de l'orchestre au sein de la salle de concert que sur l'écriture même, avec ou sans le support de l'électronique, déboucheront sur les concepts de relief, de mobilité et d'ubiquité sonores. Citons, parmi les œuvres les plus représentatives de ces deux compositeurs, Terretektorh, pour 88 instrumentistes dispersés dans le public (festival de Royan, 3 avril 1966), Nomos Gamma, pour 98 instrumentistes dispersés dans le public (festival de Royan, 3 avril 1969), Polytope de Cluny, pour bande magnétique à quatre canaux (1972), Diatope, pour bandes magnétiques à quatre ou huit pistes (1977) de Xenakis, et Gruppen, pour trois orchestres (créé à Cologne le 24 mars 1958, sous les directions conjointes du compositeur, de Pierre Boulez et de Bruno Maderna), Carré, pour quatre orchestres et quatre chœurs (créé à Hambourg le 28 octobre 1960, sous les directions conjointes du compositeur, de Mauricio Kagel, de Michael Gielen et d'Andrzej Markowski), Momente, pour soprano, quatre chœurs et treize instrumentistes (1962, 1965, 1972) de Stockhausen.

Cependant, le domaine privilégié de la musique spatialisée reste l'acousmatique, dont le support même – la bande magnétique – et l'« instrument » qui lui est irréductible – le haut-parleur – induisent les projections sonores, les couplages de zones, les trajectoires.

— Alain FÉRON

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  • : compositeur, critique, musicologue, producteur de radio

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