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SPECTRALE MUSIQUE

Jusqu'au milieu du xxe siècle, les composantes de la musique ainsi que le travail du compositeur ont été décrits avec des termes non ambigus, très clairs, car liés au système traditionnel d'écriture en vigueur depuis plusieurs siècles : hauteur et durée d'un son, thème, harmonie, contrepoint...

Au début des années 1950, l'émergence de la musique concrète et de la musique électro-acoustique entraîne une redéfinition de l'objet sonore : les compositeurs ne s'intéressent plus uniquement à l'organisation des sons mais au son lui-même ; ils prennent conscience qu'ils utilisent un matériau sonore qui préexiste à la pensée créatrice et organisatrice et dont ils ne connaissent pas les propriétés intrinsèques.

La musique spectrale, courant qui naît en France dans les années 1970, désigne une musique dont tout le matériau est dérivé des propriétés acoustiques des composantes d'un son. C'est la mutation du son, le devenir sonore qui est au centre de la recherche du compositeur. Par cette approche exclusive du son, le compositeur refuse tout matériau de base pour travailler uniquement sur la mutation du son. Les chefs de file de l'école spectrale en France sont Gérard Grisey et Tristan Murail, auxquels se joignent de nombreux compositeurs réunis depuis 1973 au sein de l'ensemble l'Itinéraire, parmi lesquels Michaël Lévinas et Hugues Dufourt.

À cette recherche de nouvelles sonorités s'ajoutent les travaux d'Émile Leipp, de Michèle Castellengo et de l'ensemble des acousticiens réunis dans le Laboratoire d'acoustique musicale de l'université de Paris-VI, notamment leurs analyses des composantes sonores.

L'appellation musique spectrale a finalement été conservée par commodité par les compositeurs eux-mêmes, mais elle est incomplète ou inadéquate : si le spectre harmonique joue un rôle important, il ne représente qu'un des éléments par rapport à la globalité du phénomène sonore.

Les compositeurs de musique spectrale vont chercher dans l'acoustique une compréhension des phénomènes sonores afin de pouvoir ancrer l'écriture musicale dans la réalité de l'oreille. Composer de la musique spectrale c'est explorer le son de l'intérieur et non plus l'organiser de l'extérieur par manipulation de notes. C'est analyser ses fréquences, ses dynamiques, l'empilement de ses harmoniques s'il s'agit d'un son à hauteur déterminée (le son d'un violon, d'une clarinette ou d'une flûte) ou de ses partiels pour un son à hauteur indéterminée (le son d'une cloche, d'un gong ou du triangle), leurs évolutions dans le temps. C'est encore étudier l'attaque de ces sons (transitoires d'attaque) et la manière dont ils peuvent s'éteindre (transitoires d'extinction).

Composer de la musique spectrale, c'est reconstituer artificiellement les composantes sonores d'un ou de plusieurs instruments en distribuant les harmoniques ou les partiels aux divers instruments qui composent l'effectif instrumental choisi, et suivre leur mutation dans le temps et dans l'espace.

Partiels (1975) de Grisey est une partition significative de la démarche esthétique spectrale : par son refus de tout matériau de base, le compositeur privilégie une approche exclusive du son et des mutations sonores. Gondwana, composé par Tristan Murail en 1980, est considéré comme une des pièces majeures illustrant ce courant. On trouve dans cette œuvre tous les principes de la synthèse orchestrale, notamment la reproduction du timbre d'une cloche, des fréquences et des dynamiques qui le composent, par les instruments de l'orchestre, dont les sonorités respectives fusionnent pour simuler la cloche. L'orchestre n'est plus qu'un seul et unique instrument qui simule l'attaque franche,[...]

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Écrit par

  • : musicologue, analyste, cheffe de chœur diplômée du Conservatoire national supérieur de musique de Paris, chargée de cours à Columbia University, New York (États-Unis)

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