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MYSTÈRE

Parler du mystère, c'est le profaner, autrement dit, le détruire. Aussi bien, la règle fondamentale des anciennes religions à mystères, qui ont fleuri dans le monde méditerranéen, était-elle le silence : les initiés l'ont bien gardé. Seuls quelques renseignements, fragmentaires et elliptiques, nous ont été transmis par les écrivains grecs (Lucien, Plutarque) ou latins (Juvénal, Apulée), ainsi que par les Pères de l'Église (Justin, Clément d'Alexandrie, Tertullien). Les historiens modernes considèrent généralement que les religions à mystères s'enracinent dans les vieux cultes de la fécondité. Les divinités qui y étaient vénérées se présentaient par couples : une déesse mère (Déméter, Aphrodite, Cybèle, Isis) accompagnée d'un héros ou demi-dieu qui pouvait être son fils (sa fille dans le cas de Déméter), son époux ou son amant. Le héros meurt et ressuscite, symbole de la végétation qui disparaît et reparaît tour à tour suivant le rythme des saisons.

Au temps où le christianisme fait son apparition, les religions à mystères, qu'elles soient d'origine grecque (mystères d'Éleusis, mystères de Samothrace, mystères de Dionysos, mystères orphiques) ou d'origine orientale (mystères d'Adonis, d'Attis et de Cybèle, d'Isis et d'Osiris, de Mithra) ont de nombreux adeptes. Les âmes mystiques trouvent là ce que les religions officielles ne peuvent leur donner. Il est incontestable, d'ailleurs, que certains aspects du christianisme primitif évoquent le langage et les pratiques des religions à mystères. Il faut se garder, toutefois, de rapprochements faciles : les mêmes mots, les mêmes rites peuvent recouvrir des attitudes spirituelles différentes. C'est le cas du mot « mystère » lui-même, commun aux religions à mystères et aux auteurs chrétiens, mais qui désigne, ici et là, des réalités hétérogènes.

Le « mysterion » chez saint Paul et les Pères grecs

Avant la naissance du christianisme, le mot « mystère » (en grec, mysterion) apparaît dans quelques livres tardifs de l'Ancien Testament, en particulier le livre de Daniel (ii, 18, 27-28, 47). Son équivalent hébreu (sôd) se rencontre dans les textes de Qumrân ; il y est question du « mystère à venir » qui déterminera, « au jour de la Visite », le sort des justes et des pécheurs ; le « docteur de justice » a reçu de Dieu la connaissance de tous les mystères contenus dans les prophètes ; mais « les derniers temps seront plus longs que tout ce qu'ont prédit les prophètes, car les mystères de Dieu sont merveilleux ». Ces textes du judaïsme tardif annoncent, en quelque sorte, la notion de mysterion qu'on trouve dans les épîtres de saint Paul. Dans le langage paulinien, « mystère » désigne le dessein rédempteur, conçu par la sagesse du Père, de « tout rassembler dans le Christ » (Éph., i, 9-10). Le mystère, selon Paul de Tarse, englobe donc toute l'histoire du salut : la venue du Christ sur terre, sa mort et sa résurrection, sa croissance dans l'Église qui est son corps mystique, son retour (parousie) à la fin des temps. C'est surtout dans les lettres adressées aux communautés qui baignaient dans une ambiance gnostique (Corinthe, Colosses, Éphèse) que Paul parle du mystère : I Cor., ii, 7 ; iv, 1 ; Coloss., i, 26 ; ii, 2 ; Éph., i, 9 ; iii, 3-10 ; v, 32 ; vi, 19, etc. L'évangile de Jean ignore le mot mystère, mais non les synoptiques : « À vous il est donné de connaître les mystères du Royaume des cieux » (Matth., xiii, 11 ; Marc, iv, 11). Comme plusieurs autres mots clefs du langage théologique – « allégorie », par exemple –, le terme de mystère a pour ainsi dire été baptisé par saint Paul, et s'est imposé par là aux auteurs chrétiens.

Chez les Pères grecs, le mysterion désigne, d'une part,[...]

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