MYSTÈRE
Les théologiens modernes
Au cours des siècles, la notion a pris, comme on peut s'y attendre, des significations diverses. Au xve siècle, par exemple, on appelle « mystère » – sans doute par confusion de mysterium et ministerium – une composition dramatique sur un sujet religieux : telle la Passion d'Arnoul Gréban. Au xviie siècle, le cardinal de Bérulle et l'école française de spiritualité insufflent au mot une vie nouvelle, en mettant au centre de leurs préoccupations la contemplation des « mystères du Fils de Dieu ». Les événements de la vie terrestre du Christ sont considérés non comme des faits fugitifs, mais comme des états qui demeurent : Bérulle parle de la « perpétuité des mystères ». C'est dans cette perspective qu'il faut lire les Élévations sur les mystères de Bossuet. Enfin, les « mystères du rosaire » (joyeux, douloureux, glorieux) sont une méditation (destinée à accompagner la récitation du chapelet) sur les différentes étapes de la vie du Christ.
Pour les modernes, les mystères sont des « dogmes révélés, que le fidèle doit croire, mais qu'il ne peut comprendre » (A. Lalande, Vocabulaire technique et critique de la philosophie). Si élémentaire soit-elle, une telle définition n'est pas en désaccord avec l'enseignement que les théologiens catholiques dispensaient en la première moitié du xxe siècle. Selon le Dictionnaire de théologie catholique, en effet, trois propriétés essentielles doivent être attribuées aux mystères : les mystères sont des « vérités proportionnées à l'intelligence divine, infiniment supérieure à toute intelligence créée, humaine et même angélique » ; ce sont des « vérités dont la connaissance ne peut dès lors nous parvenir que par voie de révélation » ; ce sont des « vérités qui, même connues par voie de révélation divine, demeurent couvertes du voile sacré de la foi et enveloppées d'un obscur nuage ». Les principaux mystères imposés à la foi sont : la Trinité, l'Incarnation, la Rédemption. Une telle notion du mystère dictait une double tâche aux théologiens chrétiens : d'une part, sauvegarder l'existence de mystères proprement dits et, d'autre part, mettre en évidence que les mystères ne contredisent pas la raison. Assurément, il n'est pas toujours aisé d'assurer cette double tâche, ce qui revient à cheminer sur une étroite crête entre deux précipices : celui du rationalisme et celui du fidéisme. Le premier Concile du Vatican donnait à ce sujet des directives judicieuses, qui furent peu suivies : « Lorsque la raison, éclairée par la foi, cherche avec soin, piété et modération, elle arrive, par le don de Dieu, à une certaine intelligence des mystères... » Maurice Blondel devait souligner l'intérêt de ce texte conciliaire (cf. A. Lalande, Vocabulaire... de la philosophie). Le Concile invitait donc à la « mystagogie », c'est-à-dire à une pénétration, par le dedans, des mystères de la foi. En fait, les théologiens se sont plus volontiers adonnés à l' apologétique, c'est-à-dire à la défense des mystères contre les attaques du dehors. Certains d'entre eux l'ont fait avec une naïveté touchante. C'était là, d'ailleurs, une vieille traditionscolastique, que le cartésianisme n'avait nullement ébranlée, comme en témoigne cette lettre que le père Vatier, jésuite, adressait à Descartes : « Je ne sçaurois m'empêcher de vous confesser que, suivant vos principes, vous expliquez fort clairement le mystère du saint Sacrement de l'Autel, sans aucune entité d'accidents. »
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Écrit par
- Édouard JEAUNEAU : directeur de recherche au C.N.R.S.
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