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MYSTÈRES, théâtre médiéval

Un théâtre de communion

La disposition du lieu dramatique du théâtre médiéval est capitale : faute de la définir avec précision, l'on ne saurait comprendre la fonction et le sens du mystère dans l'évolution de la société de la fin du Moyen Âge. Tandis que l'Italie du Nord, la Flandre et l'Allemagne se tournent résolument vers de nouvelles techniques, aussi bien commerciales et financières qu'artistiques, et préparent ce que l'on appellera la Renaissance, la France du xve siècle semble incapable de se dégager des cadres du passé ; c'est en regardant vers ses origines qu'elle cherche sa voie et son salut. À ce titre, le mystère joue un rôle essentiel. Ce genre dramatique ne fut jamais un divertissement, c'est-à-dire un spectacle conçu pour détourner de la réalité quotidienne, mais au contraire une forme d'art qui tend à n'être qu'une réplique de la vie ou plutôt une re-création de la vie et du monde plus conforme à leur essence divine.

Le thème de la passion du Christ ou du martyre d'un saint choisi comme sujet de la plupart des mystères (notamment la Passion d'Arnoul Gréban, ainsi que le Mystère des Actes des Apôtres des frères Gréban, joué à Bourges en 1536) est significatif. Il s'agit, dans le premier cas, par un rite proprement magique, de retrouver le moment où, par la mort de son Dieu, a été fondé le monde chrétien, et, dans le second cas, de retrouver hic et nunc le temps où tel saint patron accorda sa bienveillante tutelle à une ville, ou à un groupe déterminé.

Le théâtre vise alors à reporter les acteurs et les spectateurs à l'origine du monde et de la création, qui garantit la « réalité » des valeurs sur lesquelles repose la société entière. L'acteur n'est plus lui-même, mais véritablement le Christ qui meurt sur la Croix pour le rachat de l'humanité. Aussi comprend-on qu'en 1437, au cours d'une représentation de la Passion à Metz, le prêtre qui incarnait Jésus ait failli mourir, tandis que celui qui jouait Judas ait été dépendu juste à temps pour être réanimé. Les acteurs qui interprétaient les diables conservaient longtemps après la représentation leurs accoutrements infernaux et se prenaient tant à leur imagination qu'il leur serait arrivé d'engendrer des enfants anormaux...

Dans le même esprit, les spectateurs accordent une foi totale et participent à l' action figurée, si bien qu'à la représentation de Valenciennes (1547), au moment de la « multiplication des pains », les assistants réclamèrent leur part de la nourriture miraculeuse et le chroniqueur ajoute : « [...] les cinc pains [...] furent semblablement multipliés et distribués à plus de mille personnes, nonobstant quoy il y eut plus de douze corbeilles de reste. » Ainsi, exactement à l'opposé du théâtre moderne, dit de la « distanciation », dans lequel l'auteur, par divers procédés, cherche à rompre l'illusion dramatique, le mystère est un théâtre de la communion et de l'« aliénation », dans lequel le spectateur cesse d'être un assistant pour devenir un participant.

Le théâtre en rond joue, dans ce processus, un rôle fondamental. Il réalise, en effet, un véritable microcosme fermé sur lui-même et qui recrée à son échelle l'histoire de la Création. Pour comprendre à quel point le mystère fut loin d'être un spectacle, au sens moderne, il faut pouvoir pénétrer dans la conscience de ses participants, retrouver au milieu de l'aire de jeu la représentation de toutes les conditions sociales, de toutes les réalités de la vie quotidienne, recréées, condensées, mais non faussées, à travers l'histoire de la Création et de l'humanité chrétienne. Cernant et enserrant cette société de jeu, la société véritable se donne à elle-même en spectacle, figée et garantie dans sa hiérarchie éternelle, sous le regard[...]

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Écrit par

  • : ancien élève de l'École normale supérieure, professeur de littérature française à l'université de Montpellier-III-Paul-Valéry

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