MYTHE Approche ethnosociologique
L'analyse structurale
Les mythes étudiés en eux-mêmes
Bien qu'il se situe en dehors du domaine strict de l'ethnologie, Georges Dumézil doit être considéré comme le précurseur de l'analyse structurale des mythes ; dans ses travaux sur les mythes et l'idéologie des divers peuples indo-européens de l'Antiquité, il découvre comment la confrontation de plusieurs mythes permet de dégager des structures qui leur sont communes. Elles consistent en certains agencements de catégories sociologiques dans le cas du corpus qu'étudie Dumézil – catégories qui suggèrent un système de castes –, mais, contre son hypothèse de départ, il doit reconnaître que ces catégories ne reflètent pas nécessairement celles de la société qui produit les mythes en question : elles ne reflètent rien d'autre que l'activité de l'esprit, ne sont rien d'autre que des outils de l'intelligence.
Claude Lévi-Strauss devait tenter de fonder une véritable science des mythes en les étudiant enfin pour eux-mêmes ; on s'efforce de dégager leurs propriétés avant de leur assigner une fonction dans un système quelconque. Les mythes apparaissent alors déterminés beaucoup plus les uns par les autres que par leur contexte ; ils sont les transformations les uns des autres non seulement dans une culture donnée mais même à l'échelle des continents.
Pour Lévi-Strauss, il s'agit de savoir ce qu'il faut chercher derrière le sens manifeste des textes mythiques, ces histoires qui semblent gratuites et qui pourtant se ressemblent d'un bout à l'autre de la planète et sont prises tellement au sérieux par les sociétés les plus diverses. Il dégage des procédures d'analyse qui, appliquées avec toute l'intuition anthropologique nécessaire, donnent pour la première fois l'impression qu'on peut comprendre quelque chose aux mythes des sociétés exotiques, pénétrer dans l'intimité de leur univers mental. Pour analyser par exemple un mythe des Indiens Tsimshian (Colombie britannique) où le héros, Asdiwal, effectue un périple qui lui fait parcourir aussi bien l'aire géographique propre à cette tribu que voyager en mer, gagner le ciel et visiter le monde souterrain et cela en étant chaque fois confronté à des problèmes d'alliance avec diverses femmes et à des problèmes d'approvisionnement à diverses sources, Lévi-Strauss commence par isoler les niveaux où évolue le mythe : géographique, économique, sociologique, cosmologique ; ces différents niveaux marqués par le symbolisme qui leur est propre dans le cadre de la culture tsimshian sont alors comparés, et ils apparaissent chacun « comme une transformation d'une structure logique sous-jacente et commune à tous les niveaux ». Chacun est un code qui transmet le même message et renvoie à tous les autres. Il s'agit ici, à travers l'exposé d'une série de médiations impossibles entre des oppositions rangées en ordre décroissant, de confesser qu'un certain type de mariage lié à un certain mode de résidence ne parvient pas à surmonter une antinomie à laquelle sont assimilées d'autres antinomies conçues sur les plans les plus divers.
Les mythes ne cherchent pas à peindre le réel mais spéculent sur ses virtualités latentes ; si le contexte est indispensable à l'analyse, le sens des mythes ne se tire pourtant pas de lui mais de l'étude des agencements propres aux textes eux-mêmes. L'analyse structurale des mythes exige donc que d'une part on superpose à la lecture horizontale des textes une lecture verticale qui permet de dégager les oppositions pertinentes responsables de la cohérence de l'ensemble du texte, que d'autre part on compare entre eux plusieurs versions d'un même mythe et plusieurs ensembles de mythes pour saisir toutes les implications des différents niveaux sémantiques qui s'interpénètrent[...]
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Écrit par
- Pierre SMITH : chargé de recherche au C.N.R.S.
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