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MYTHE Épistémologie des mythes

Un savoir frontière

Toute l'entreprise d'une science des mythes va dans ce sens. De Müller à Lang, de Tylor à Kühn et à Decharme, les « pères fondateurs » de la mythologie-savoir ont les yeux fixés sur le monde grec. L'élément sauvage et absurde, reconnu soudainement dans les histoires familières de la mythologie policée, et dénoncé comme un scandale, reçoit la caution des anciens Grecs, qui ont été choqués, eux les premiers, par des récits attribuant à leurs dieux des choses – comme dit Max Müller – « qui feraient frissonner les plus sauvages des Peaux-Rouges ». Bien avant 1850, « des hommes pieux et réfléchis » se sont déclarés embarrassés par des récits sur la dévoration de Dionysos ou la castration d'Ouranos, et ils ont tenté « de s'expliquer à eux-mêmes des croyances étroitement liées à la religion et qui semblaient la négation de la religion comme de la moralité » (A. Lang, Mythes, cultes et religions, p. 13). De Xénophane à Platon, le sentiment religieux des Grecs, scandalisé par la mythologie, se trouve à l'origine des premières interprétations. Et quand la science des mythes inaugure son discours sur la mythologie scandaleuse, elle s'assure de reproduire les mots et les gestes des « hommes pieux et réfléchis » dans la Grèce des commencements.

En désignant comme précurseur de leur discours un philosophe tel que Xénophane de Colophon, les initiateurs de la science des mythes nous renvoient à ce monde grec d'où viennent, en effet, et le mot mythe et la chose déjà appelée mythologie, sinon même le sentiment de scandale dont semble solidaire l'appréhension d'un premier mythologique. Pour interroger l'interprétation en ses commencements – au moins dans l'ancienne Grèce –, il faut préalablement la délimiter par rapport à l' exégèse. De celle-ci nous dirons qu'elle est le commentaire incessant qu'une culture se donne de son symbolisme, de ses gestes, de ses pratiques, de tout ce qui la constitue comme système en action. L'exégèse prolifère du dedans ; c'est une parole qui nourrit la tradition dont elle fait partie, tandis que l'interprétation commence dès qu'il y a perspective du dehors, dès que, dans une société, certains se mettent à discuter et à critiquer la tradition, à prendre leurs distances vis-à-vis des histoires de la tribu. Porter le regard d'un autre sur ce qui est reçu et accepté par tous peut prendre, au moins, deux formes. L'une, minimale, commence avec l'écriture en prose de ceux que le ve siècle avant J.-C. désignera sous le nom de logographes et qui, depuis un siècle déjà, disposent dans l'espace nouveau de la graphie les récits et les histoires traditionnels, depuis les généalogies jusqu'aux longues gestes héroïques. Mais, en même temps que cette mise à distance, discrète et silencieuse, produite par la seule opération scripturale, une autre chemine qui, sous une forme maximale, s'affirme à travers de nouveaux savoirs inséparables de l'écrit tels que la philosophie première avec Xénophane de Colophon ou la pensée historienne conceptualisée par Thucydide. Ces savoirs mettent en question de manière radicale une tradition dénoncée comme irrecevable ou comme n'étant plus crédible, qu'il s'agisse de sens immédiat ou même de toute signification.

C'est dans le travail de l'interprétation que se construit une notion inédite du mythos et que se dessine, avec ses traits spécifiques, la figure de la mythologie, au sens grec de mythologia. Une série de repères permettent de délimiter, dans une histoire qui va du vie siècle avant J.-C. au début du ive, comment s'organise le territoire assigné au mythos. Vers 530, Xénophane, au nom de la première philosophie, condamne brutalement l'ensemble des récits sur les [...]

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Écrit par

  • : directeur d'études à l'École pratique des hautes études (Ve section, sciences religieuses)

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Stamnos provenant de Vulci, art grec - crédits :  Bridgeman Images

Stamnos provenant de Vulci, art grec

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