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MYTHE Épistémologie des mythes

Repenser la mythologie

Toute l'archéologie de la science des mythes tend à montrer que la Grèce classique reste ce qui rend pensable la mythologie. Elle est un modèle inaliénable, même pour ceux qui croyaient de bonne foi échapper à l'hellénocentrisme. Sans doute faut-il d'abord déconstruire le décor conceptuel d'un savoir en apparence immédiat et légitime, en repérant les procédures singulières mises en œuvre de Xénophane à Max Müller, et de Thucydide à Tylor.

En premier lieu, c'est le statut même du mythe qu'il faut mettre en cause – et plus radicalement que ne l'imaginait Lévy-Bruhl en séparant la mythologie cultivée d'une autre où ni le récit ni l'intrigue n'auraient cours. Déjà la distance reconnue ici rendait vaine une interprétation unique. Mais, dès lors qu'elle est une figure hétérogène dessinée par les procédures d'exclusion et de partage, la mythologie ne peut désigner ni un genre littéraire spécifique ni un type de récit particulier. Et rien, si ce n'est le malentendu qui règne depuis les Grecs eux-mêmes, ne donne à penser qu'un mythe est perçu comme mythe par tout « lecteur » dans le monde entier.

On remarquera, en deuxième lieu, que, en tant que produit culturel du monde grec, la mythologie, dès qu'elle prend forme, chemine avec l'interprétation qui la construit, dans un discours dont les choix fondamentaux se résument en deux mots : ou bien la mythologie n'a pas de sens, ou bien elle en a un. Et, dans ce dernier cas – la philosophie mène le jeu –, le sens ne peut être cherché que de trois manières. Soit dans la mythologie elle-même : c'est la voie du tautégorisme de Schelling à Lévi-Strauss. Soit hors d'elle : par l'allégorisme qui cherche un ou des sens cachés sous le sens immédiat, lequel est tenu pour inacceptable ; ainsi font notamment les pythagoriciens et les stoïciens. Ou encore à travers elle : la mythologie contient un indicible que ne peut énoncer le discours rationnel ; c'est la position du symbolisme des néo-platoniciens et, plus près de nous, de Charles Kérényi ou de Paul Ricœur.

Toutes les interprétations sur la forme du mythe, sur le mode d'être de la mythologie s'énoncent et se cherchent sur la scène philosophique, dans le travail, qui n'a subi aucune interruption depuis les premiers philosophes, pour se délivrer de l'apparence du mythe, que ce soit en l'assignant au non-être ou en lui conférant la dignité d'un mode particulier du processus de formation spirituelle. Car les différences s'annulent entre ceux qui, depuis et avec Schelling, rendent le mythe positif et les autres, qui le refusent comme une illusion de la raison.

Il faut donc récuser toutes les questions sur le mythe ou sur la pensée mythique qui sont portées par nos présupposés grecs.

Notons, en troisième lieu, qu'une autre perspective apparaît à travers un paradoxe. La mythologie au sens grec, il faut en convenir, ça s'écrit. Il n'y a de mythologie que mythographique, par l'écriture qui en trace les frontières, qui en dessine la figure. Et c'est par le travail de l'illusion que, depuis le xixe siècle, la mythologie est devenue et la parole et le chant, et la voix des origines. Or, dans toute la recherche contemporaine, la question de l'écriture est résolument écartée au profit du langage, même si, depuis que Lévi-Strauss occupe la chaire de Marcel Mauss et de Maurice Leenhardt, les « peuples sans écriture » se sont substitués aux « peuples non civilisés » – modification qui ne voulait impliquer aucun jugement de valeur, mais qui eut pour seule conséquence de suggérer que l'absence d'écriture, dans ces sociétés, semblait exercer « une sorte d'influence régulatrice sur une tradition qui doit rester orale ».

Parce que l'écriture[...]

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Écrit par

  • : directeur d'études à l'École pratique des hautes études (Ve section, sciences religieuses)

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Stamnos provenant de Vulci, art grec - crédits :  Bridgeman Images

Stamnos provenant de Vulci, art grec

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