MYTHE L'interprétation philosophique
Mythe et philosophie
Il est possible de revenir, au terme de cette enquête, à la question posée, dans l'introduction, concernant la rencontre entre la vision du monde portée par le mythe et l'exigence de la philosophie. On se bornera ici aux problèmes posés par le mythe dans la philosophie moderne et contemporaine, en gardant toutefois comme fil conducteur l'antinomie initiale du muthos et du logos dans la philosophie grecque.
C'est, en effet, la même antinomie que, de façons multiples, la philosophie moderne et contemporaine réinvente. Une manière de faire paraître l'antinomie est de la situer au niveau des représentations, au sens qu'on a donné à ce mot en présentant le premier corollaire de la définition du mythe comme récit des origines. C'est, en effet, d'abord comme représentation que la philosophie rencontre le mythe et sa prétention épistémologique. Le problème muthos-logos devient alors le problème « représentation-concept ». Si la philosophie est la pensée par concept, c'est une question de savoir si la représentation véhiculée par le mythe peut être considérée comme une préfiguration du concept. Deux réponses s'avèrent alors possibles : ou bien la représentation peut être réduite au concept (mais alors, pourquoi ce détour, dont les théories antiques de l'allégorie avaient montré la vanité ?) ; ou, au contraire, si l'on tient pour l'irréductibilité de la représentation au concept, alors que devient la tâche de rationalité ?
Les réponses de Kant et de Hegel à ce paradoxe sont particulièrement instructives ; de deux façons différentes, ces deux philosophes tentent de maintenir le primat du concept (il est vrai, en des sens différents du mot), tout en rendant justice à la représentation. Les deux solutions qu'ils proposent peuvent être considérées comme deux modèles philosophiques qui n'ont pas été dépassés ; toutes les autres discussions qu'on évoquera supposent, d'une manière ou d'une autre, la polarité instituée par l'opposition entre Kant et Hegel.
L'interprétation kantienne de la mythologie
Ce n'est pas seulement dans La Religion dans les limites de la simple raison qu'il faut chercher la réponse de Kant à la question du statut de la représentation dans l'économie de la philosophie. C'est le projet entier d'une philosophie des limites qui donne son sens à cette réponse partielle. Dans une philosophie des limites, la prétention à connaître des objets absolus hors de la sphère de l'expérience sensible et de la connaissance scientifique est frappée d'illusion ; en ce sens, le monde mythique tombe sous la critique kantienne de l'« illusion transcendantale », qui n'enveloppe pas seulement les preuves classiques de la métaphysique, mais la totalité des positions surnaturalistes véhiculées par une grande culture.
Cependant, la philosophie kantienne n'est pas un simple positivisme. S'il y a une illusion transcendantale, c'est bien parce que la raison ne se réduit pas à l'entendement et exige un inconditionné à la tête de la série entière des conditions ; cet inconditionné peut être « pensé », mais non « connu ». Cette différence entre penser et connaître, jointe à la critique de l'illusion transcendantale, ouvre une interprétation possible du monde des mythes. Le mythe, en effet, s'il est condamné en tant que métaphysique implicite, est susceptible de recevoir un sens de son rapport avec l'inconditionné. Mais quel sens ? Pour Kant, ce ne peut être qu'un sens éthique. La seule transgression des limites qui ne marque pas un retour à l'« illusion » transcendantale est la position de notre liberté dans son rapport avec la moralité.
C'est sur ce fondement pratique seulement que peuvent être déployés des[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Paul RICŒUR : professeur émérite à l'université de Paris-X, professeur à l'université de Chicago
Classification
Média
Autres références
-
ABORIGÈNES AUSTRALIENS
- Écrit par Barbara GLOWCZEWSKI
- 7 154 mots
- 5 médias
...avec les signes totémiques de son itinéraire ancestral, afin que se maintienne l'environnement et tous ses liens avec les espèces vivantes et les humains. Les longues épopées mythiques, qui racontent la formation du paysage et l'instauration des règles sociales et religieuses, constituent ce que les Warlpiri... -
ADORNO THEODOR WIESENGRUND (1903-1969)
- Écrit par Miguel ABENSOUR
- 7 899 mots
- 1 média
...(1954) qui, en s'efforçant de maintenir intacte la « pureté » de la raison, recherche seulement les causes externes de sa destruction. Adorno et Horkheimer, loin de tenir de façon rassurante la raison à l'écart du mythe, en révèlent au contraire l'inquiétante proximité. À « l'impureté » de la raison – non... -
ÂGE ET PÉRIODE
- Écrit par Jean-Paul DEMOULE
- 1 958 mots
Parmi les sociétés traditionnelles, l'Inde a produit, par exemple, une théorie des « âges du monde », fondée à la fois sur la notion de décadence et sur celle de cycle. En Grèce, Hésiode narre dans sa Théogonie (viiie-viie s. av. J.-C.) le récit des cinq « races » successives – d'or,... -
AMÉRIQUE (Histoire) - Découverte
- Écrit par Marianne MAHN-LOT
- 4 808 mots
- 6 médias
Pourquoi tant d'intérêt attaché à la recherche de ces îles, généralement désertes ? C'est là que la géographielégendaire venait se combiner à la géographie « savante » pour préciser un objectif asiatique : Antilia serait un relais sur la route de « Cipango aux toits d'or » (le Japon),... - Afficher les 91 références