MYTHE Mythos et logos
Avant l'âge classique de la Grèce, à l'âge qu'on appelle « archaïque », le mythos et le logosqualifié de hiéros ne s'opposent pas. L'un et l'autre semblent avoir désigné un « récit sacré » concernant les dieux et les héros. Les sanctuaires officiels et secrets possèdent chacun sa collection, transmise « de la bouche à l'oreille », comme le bien propre de familles dépositaires de fonctions et de traditions. Certaines d'entre elles, remplissant une fonction politique, se transmettent aussi de génération en génération un corpus de récits, rédigés vraisemblablement sous la forme de « généalogies », qui justifiaient leurs privilèges, en rattachant la lignée à quelque illustre origine ou épisode : mariage entre dieu et homme, naissance miraculeuse, triomphe dans une épreuve de style héroïque ou érotique, ou encore l'un de ces illustres crimes ou malheurs qui attirent sur l'homme l'attention des dieux. Des traditions similaires auraient été conservées dans des lignées dépositaires d'un savoir technique apprécié, ou dans des confréries recrutées par cooptation et initiation : médecins, potiers, forgerons, nautes, fabricants de chars ou éleveurs de chevaux. Une portion considérable de ces traditions serait demeurée secrète, puisque Pausanias, au second siècle de l'ère chrétienne, en récolte encore, que, par piété, il refuse de transmettre. Une portion se retrouverait dans les collections attribuées « à Orphée ». Ce qu'on possède est constitué par le recueil de mythographes d'âge classique, des archéologues, qui colligèrent une partie de la tradition pour la conserver au titre de bien culturel, les modes traditionnels de la transmission faisant alors place à l'écriture, au livre et à l'école. Les Pisistratides sont célèbres pour avoir provoqué des éditions de corpus semi-canoniques. On peut présumer que la Grèce des artistes, des médecins, des sophistes et des politiques y tenait comme on tient à un folklore, alors même que subsistaient, à côté, des confréries mystiques et des sanctuaires à secrets. Platon traite en folklore les traditions de sa famille, mais il y tient assez pour les réinterpréter au niveau de sa politique et de son savoir. D'un bout à l'autre de son histoire connue, la Grèce a juxtaposé les conservateurs d'une tradition commune, remontant aux couches pré-indo-européennes, et ses interprètes sophistiqués, savants, ou romanesques. Il reste essentiel à la Grèce d'avoir accommodé sa tradition à la « raison », selon des modes aussi ingénieux que la philosophie platonicienne, ou aussi farfelus que la lecture « physique » des théogonies.
Le passage du nom divin aux concepts couplés
Hésiode et Héraclite
Héraclite fait à Hésiode le reproche de « polymathie » : il a ravaudé sa sagesse avec toutes sortes de choses apprises. Vraisemblablement, cela veut dire qu' Hésiode a recomposé sa théogonie avec le matériel disparate de traditions recueillies dans un grand nombre de lieux saints. L'œuvre d'Hésiode représenterait donc un premier syncrétisme, dont l'agencement signifiant refoule les archaïsmes incompris des cultures antécédentes. C'est un syncrétisme plus ancien que le syncrétisme panhellénique des « douze grands dieux », singularisé au surplus par les choix propres à un sage de disposition pessimiste : si singulier, à vrai dire, que le succès panhellénique et le caractère semi-canonique de son agencement ne l'empêchent pas de rivaliser avec d'autres, sur des points de théologie aussi graves que l'origine du mal, ou sur des points de morale aussi sérieux que les structures de la parenté.
Il convient de lire Hésiode comme on lirait le témoignage d'une idéologie singulière, qui ne disposerait pas pour s'exprimer du vocabulaire[...]
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Écrit par
- Clémence RAMNOUX : professeur honoraire à l'université de Paris, ancien professeur à l'université de Paris-X-Nanterre
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