DÉLUGE MYTHES DU
Déluge et Renouveau
Parmi les mythes primitifs de la Fin, très rares sont ceux qui ne présentent pas d'indications précises concernant l'éventuelle re-création du monde. Ainsi, dans une des îles Carolines, Aurepik, c'est le fils du Créateur qui est responsable de la catastrophe. Lorsqu'il s'apercevra que le chef ne s'occupe plus de ses sujets, il submergera l'île au moyen d'un cyclone. Il n'est pas certain qu'il s'agisse d'une fin définitive : l'idée d'une punition des « péchés » implique généralement la création ultérieure d'une nouvelle humanité.
Plus difficiles à interpréter sont les croyances des Négritos de la péninsule de Malacca. Les Négritos savent qu'un jour Karei mettra fin au monde parce que les humains ne respectent plus ses préceptes. Aussi, pendant l'orage, s'efforcent-ils de prévenir la catastrophe en faisant des offrandes expiatoires de sang. La catastrophe sera universelle, elle frappera sans distinction pécheurs et non-pécheurs, et ne préludera pas, semble-t-il, à une nouvelle création. C'est pourquoi les Négritos appellent Karei « mauvais », et les Ple-Sakai voient en lui l'adversaire qui leur a « volé le Paradis ».
Un exemple singulièrement frappant est celui des Guaranis du Mato Grosso. Sachant que la Terre sera détruite par le feu et par l'eau, ils partirent à la recherche du « Pays sans péché », sorte de paradis terrestre, situé au-delà de l'Océan. Ces longs voyages, inspirés par les chamans, et effectués sous leur direction, ont commencé au xvie siècle et ont duré jusqu'en 1912. Certaines tribus croyaient que la catastrophe serait suivie d'un renouvellement du monde et du retour des morts. D'autres tribus attendaient et désiraient la fin définitive du monde.
La majorité des mythes amérindiens de la Fin impliquent soit une théorie cyclique (comme chez les Aztèques), soit la croyance que la catastrophe sera suivie par une nouvelle création, soit, enfin (en certaines régions de l'Amérique du Nord), la croyance à une régénération universelle effectuée sans cataclysme. (Dans ce processus de régénération, seuls les pécheurs périront.) Selon les traditions aztèques, il y a eu déjà trois ou quatre destructions du monde, et la quatrième (ou la cinquième) est attendue pour l'avenir. Chacun de ces mondes est régi par un « Soleil », dont la chute ou la disparition marque la Fin.
La croyance que la catastrophe est la conséquence fatale de la « vieillesse » et de la décrépitude du monde semble assez répandue dans les deux Amériques. Selon les Cherokees, quand le monde sera vieux et usé, les hommes mourront, les cordes se casseront, et la Terre s'abîmera dans l'Océan (la Terre est imaginée comme étant une grande île suspendue à la voûte céleste par quatre cordes). Dans un mythe maidu, le « Earth-Mader » assure au couple qu'il avait créé : « Lorsque ce monde sera trop usé, je le referai entièrement ; et quand je l'aurai refait, vous connaîtrez une nouvelle naissance. »
En somme, ces mythes primitifs de la fin du monde, par déluge ou incendie, impliquent plus ou moins clairement la re-création d'un univers nouveau, expriment la même idée archaïque, et extrêmement répandue, de la « dégradation » progressive du cosmos, nécessitant sa destruction et sa re-création périodiques. C'est de ces mythes d'une catastrophe finale, qui sera en même temps le signe annonciateur de l'imminente re-création du monde, que sont sortis et se sont développés les mouvements prophétiques modernes et les mouvements millénaristes des sociétés primitives.
La théorie de la création et de la destruction cycliques du monde a été laborieusement développée dans l'Inde, à partir des Brāhmaṇas et surtout dans les Purāṇas. C'est[...]
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Écrit par
- Mircea ELIADE : professeur à l'université de Chicago
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