MYTHOLOGIE, Georges Séféris Fiche de lecture
Être grec en pays étranger, condamné par l'exil à la nostalgie du pays natal, tel est le destin de Georges Séféris (1900-1971) naît à Smyrne, sur une terre qui n'allait pas rester longtemps grecque. Fils d'un intellectuel qui fit ses études en France, Séféris entre à l'École normale classique d'Athènes puis fait son droit à Paris où sa famille s'installe en 1918. En 1922, l'armée grecque connaît la déroute en Asie Mineure, Smyrne est incendiée par les Turcs. Séféris gagne Londres deux ans plus tard pour y perfectionner son anglais, espérant réussir l'examen du ministère des Affaires étrangères. Sa carrière littéraire commence par quelques poèmes, une traduction de La Soirée de M. Teste de Paul Valéry, et la publication en 1931 de son premier recueil, Strophe. Vice-consul à Londres où il rencontre le poète américain T. S. Eliot, Séféris publie à compte d'auteur Mythologie (1935), puis des traductions de Jouve, Eluard, Michaux.
Lorsque les troupes nazies envahissent la Grèce en 1941, Séféris condamne violemment « l'extermination systématique des petites nations ». Jusqu'à la libération d'Athènes en octobre 1944, il poursuit une action politique orientée vers la résistance et continue d'écrire. Ambassadeur, il est nommé dans plusieurs pays du Proche-Orient puis à Londres, en 1957. En 1963, Séféris reçoit le prix Nobel de littérature et, lors du coup d'État militaire en Grèce, en avril 1967, il refuse d'enseigner à Harvard : « Si la liberté d'expression manque dans un seul pays, elle manque partout ailleurs », déclare-t-il. En 1971, il écrit Sur les asphaltes, son dernier poème, et meurt à Athènes le 20 septembre.
Un voyage aux sources de l'hellénisme
Georges Séféris occupe une place de premier rang dans la littérature de son pays. Sa poésie est d'abord une méditation sur le désastre grec en Asie Mineure, et son dialogue avec l'histoire est aussi un voyage aux sources de l'hellénisme.
Ce déraciné porte en lui son pays comme une blessure ouverte, il est le nouvel Ulysse d'une Ithaque soumise à la barbarie moderne. Son pessimisme se nourrit de cet exil, commencé à Londres en 1933. Mythologie résume parfaitement cet esprit : « Et chacun reste silencieux devant l'autre/ À regarder, chacun pour soi, le même monde. » Le recueil compte vingt-quatre poèmes comme L'Odyssée d'Homère compte vingt-quatre chants. Les textes jouent du sens étymologique du titre qui, en grec moderne, est souvent employé pour désigner un roman : « une mythologie précise et manifeste » liée à « une situation aussi indépendante de moi que les personnages d'un roman », précise le poète.
Le recueil, compris comme une suite, incorpore volontairement des citations antiques : l'Alcibiade de Platon ou La Femme de Ziante de Dionysos Solomos. La mémoire du lecteur est sollicitée : le vers « La mer, la mer, qui pourra l'épuiser ? » est tiré de l'Agamemnon d'Eschyle et inséré tel quel dans le texte. Le corpus antique est ainsi partout présent : les paysages sont homériques, le culte des amis rappelle Pindare, l'ennui est celui des Euménides d'Eschyle... La visée rationaliste du poète s'inscrit dans une filiation qui permet au texte d'être toujours plus grec ; le renouvellement de la forme, par rapport à La Citerne, notamment – texte inspiré de Paul Valéry –, recouvre ici une nouvelle orientation : Séféris s'inscrit dans une conception globale de l'histoire, où la conscience personnelle est intégrée au mouvement collectif : « Mais que cherchent-elles, nos âmes, à voyager ainsi/ Sur des ponts de bateaux délabrés... » ; « J'ai cherché/ La solitude, je n'ai pas recherché cette attente ». Si les symboles abondent, tous inspirés de l'Antiquité, ici « le port menace ruine », « le vent[...]
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Écrit par
- Claude-Henry du BORD
: professeur d'histoire de la philosophie, critique littéraire à
Études , poète et traducteur
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