NABIS
Rencontres, échanges, activités
C'est par Aurélien Lugné-Poe, son ancien camarade du lycée Condorcet, que Maurice Denis avait été mis en rapport avec les milieux littéraires symbolistes. Il rencontra ainsi Jean Jullien, directeur de la revue Art et Critique, puis le poète Adolphe Retté, qui le présenta à son tour à Verlaine et à Jean Moréas. Gauguin, de son côté, avait été présenté par Émile Bernard à Albert Aurier. Il allait ainsi connaître, dans l'entourage du Mercure de France, plusieurs écrivains, tel Henri de Régnier, qui luttaient aussi contre l'académisme et contre le naturalisme. « Il faut vêtir l'idée d'une forme sensible », avait proclamé Jean Moréas dans son « Manifeste du symbolisme », publié par Le Figaro en septembre 1886. « La représentation de la nature est une chimère », écrivait Édouard Dujardin en 1888, dans un article sur le peintre Louis Anquetin. « Au contraire, le but de la peinture, de la littérature est de donner, par les moyens spéciaux de la peinture et de la littérature, le sentiment des choses ; ce qu'il convient d'exprimer, c'est non l'image, mais le caractère... » Il arrivait à tous ces jeunes poètes, naturellement différents les uns des autres, de se diviser. D'où, à l'ombre du Mercure, la naissance de multiples revues souvent éphémères. Mais ils avaient tous une admiration commune pour Edgar Poe, Baudelaire, Rimbaud, Verlaine et Mallarmé, auprès de qui Charles Morice allait introduire Gauguin ; dans l'élaboration de leurs doctrines, les jeunes critiques invoquaient encore les idées de Hegel et de Swedenborg.
Par Lugné-Poe aussi qui partagea un moment un atelier avec Bonnard, Vuillard et Maurice Denis, les nabis étaient entrés en contact avec Paul Fort qui, en 1890, à dix-huit ans, venait de fonder le Théâtre d'art, destiné, selon les termes de Pierre Louÿs, à « contredire par une rivalité active et pleine de foi le Théâtre-Libre d'André Antoine, où s'efforçait l'école naturaliste ». Lugné-Poe étant devenu son principal collaborateur, Paul Fort allait mettre en scène des pièces de Jules Laforgue, Maurice Maeterlinck, Charles Morice ; donner des récitations de Rimbaud, d'Edgar Poe, de Mallarmé. Prenant sa suite en 1893, Lugné-Poe fondait à son tour avec Camille Mauclair et Édouard Vuillard la Maison de l'œuvre, et présentait Pelléas et Mélisande de Maeterlinck, puis des pièces d'Ibsen, de Strindberg, de Björnson, d'Oscar Wilde. En 1896, c'était la première représentation d'Ubu-Roi, d'Alfred Jarry, dans les décors de Bonnard et de Sérusier, avec une musique de Claude Terrasse. Illustrant livres et poèmes, créant pour nombre de ces pièces (et même, dans leur éclectisme, pour le Théâtre-Libre d'Antoine), décors, costumes ou dessins de programme, les nabis participaient ainsi à toutes les créations nouvelles.
Bien que très unis les uns aux autres, ils avaient eux aussi, à l'intérieur même du groupe, leurs propres tendances. Les uns, plus portés à l'ésotérisme, au mystère, au mysticisme – Sérusier, Denis, Verkade, Mögens Ballin –, étaient les plus « symbolistes ». Les autres, moins fervents de discussions philosophiques et de théories, d'une nature plus indépendante – Bonnard, Vuillard, Roussel –, devaient s'attacher surtout au groupe formé autour de la Revue blanche, installée à Paris en 1891 par Thadée Natanson et ses frères. Félix Fénéon, critique aigu et perspicace, grand défenseur de Seurat, en était, après Lucien Mühlfeld, le secrétaire. Marcel Proust, Léon Blum, Guillaume Apollinaire allaient y publier leurs premiers essais. Aux illustrations de livres, aux décors de théâtre, il faut ajouter alors les dessins, les lithographies puis les affiches que leur commanda Thadée Natanson pour sa revue : Bonnard, en effet,[...]
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Écrit par
- Antoine TERRASSE : historien d'art
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Médias
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