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NAISSANCE, anthropologie

La naissance en Europe

Mythes du héros et roman familial

Les représentations mythiques européennes concernant la naissance sont extrêmement nombreuses et par conséquent difficiles à appréhender et à ordonner. La classification la plus maniable adopte le schéma des rites de passage découvert et défini par A. Van Gennep. Les rites de passage comportent successivement les stades de séparation, de marge et d'agrégation et ont pour fonction de faire passer un individu d'un milieu social ou religieux à un autre, tout au long de son existence. Dans le cas de la naissance, on ressent la nécessité toute particulière de soumettre ce processus biologique à une élaboration symbolique, dans l'intention d'intégrer le nouveau-né à son groupe social et religieux.

On trouve dans la mythologie indo-européenne un grand nombre de récits dont le motif initial est constitué par la naissance du héros de la narration. C'est qu'en effet le héros mythique se signale presque toujours par une naissance remarquable et, réciproquement, le récit d'une naissance dans un mythe a pour fonction de signaler la naissance d'un héros. Peut-être faut-il se demander si ce motif mythique n'a pas la même fonction que la marque sociale que l'Ancien Régime appelait précisément « naissance », dans l'expression par exemple « avoir de la naissance », et qui servait à la hiérarchisation des classes sociales.

Une des versions les plus connues de ce motif a été étudiée par O. Rank à partir d'exemples puisés dans la mythologie indo-européenne et proche-orientale. On y retrouve un schéma narratif commun : le héros est l'enfant de parents éminents, c'est souvent le fils d'un roi. Sa conception est précédée de difficultés, une stérilité prolongée par exemple, ou bien l'obligation faite à son père et à sa mère de garder secrètes leurs relations sexuelles ; avant ou pendant la grossesse, une prophétie – rêve ou oracle – avertit des dangers de cette naissance qui mettrait en péril la vie du père ; conséquemment, le nouveau-né est « exposé », c'est-à-dire abandonné, souvent sur l'eau, placé dans une boîte ; il est sauvé par des gens de rang social inférieur ou par des animaux femelles qui le nourrissent et l'élèvent ; devenu adulte, il retrouve ses véritables parents ; la prédiction s'accomplit : il est reconnu et accède au rang qui est le sien.

Derrière ce schéma narratif, on reconnaîtra aisément un grand nombre de récits, dont le plus ancien sans doute raconte la naissance de Sargon, le fondateur de Babylone. On retrouve ce schéma dans les mythes racontant la naissance de Moïse, de Pâris, de Persée, de Romulus et de Rémus, de Siegfried. Le plus célèbre des mythes d'enfant exposé est très certainement celui d'Œdipe. Ce même schéma a été repris dans quelques légendes chrétiennes. Cependant, les contes merveilleux de la société traditionnelle européenne, s'ils n'ignorent pas les thèmes des mythes, en affaiblissent fréquemment la portée et la gravité. Ainsi, dans un conte européen, Le Diable et ses trois cheveux d'or, dont une version a été recueillie par les frères Grimm, on retrouve le motif initial de l'enfant exposé, mais l'issue du conte ne présente rien de dramatique.

O. Rank interprète ce schéma mythique par des fantasmes que Freud avait désignés sous le nom de «  roman familial ». L'enfant imagine que ses parents ne sont pas ses parents véritables, qu'il est né de parents plus prestigieux et que ses parents l'ont seulement adopté ou recueilli. Ou bien seul le père est exclu par ce « roman » : l'enfant imagine que son père n'est pas son véritable père et, dans ce cas, que sa mère a eu des relations amoureuses secrètes. Il peut encore se figurer qu'il est seul à être un enfant légitime, ses frères et sœurs étant des[...]

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