MORETTI NANNI (1953- )
Dans un cinéma italien que l’on croyait irrémédiablement en déclin depuis le milieu des années 1970, Nanni Moretti a renoué très rapidement les fils distendus entre le néoréalisme et la comédie à l'italienne, entre l'impudeur intime de Rossellini et l'ironie parfois cruelle qui caractérisait le meilleur d'un genre usé. Son œuvre, qui constitue une véritable radiographie de l'évolution de la société italienne entre la fin des années 1970 et le début du xxie siècle, a ouvert la voie à bon nombre de nouveaux cinéastes tels Maurizio Nichetti, Massimo Troisi, Roberto Benigni, Daniele Luchetti, Mario Martone...
Création d'un personnage
Passionné de cinéma, Nanni Moretti, né Giovanni Moretti le 19 août 1953 à Brunico, dans le Trentin (Italie), fils d'enseignants sans liens avec le monde du cinéma, rejette le métier d'assistant, qui, selon lui, le mènerait au statut de cinéaste « professionnel », c'est-à-dire « impersonnel ». Trop autodidacte pour accéder aux écoles de cinéma, il lui reste la solution de l'amateurisme : tourner en super 8. Il sera le scénariste, le réalisateur, le chef opérateur, le preneur de son et le monteur (voire le projectionniste) de ses premiers courts-métrages, tournés en 1973, La Sconfitta et Pâté de bourgeois. Ce manque de moyens l'a mis sur la voie d'un « cinéma simple » sans être « simpliste ou banal ». C'est ainsi que Io sono un autarcico (Je suis un autarcique, 1976), long-métrage en super 8 (« gonflé » ensuite en 16 mm), remporte un succès inattendu en Italie, puis en France. L'œuvre ultérieure de Moretti est déjà contenue tout entière dans ce film au titre révélateur. Son personnage : Michele Apicella, que Moretti interprétera de film en film, en est déjà le centre. Au narcissisme du cinéaste répond l'exacerbation du moi de l'acteur-personnage. En plein recul des valeurs politiques qui avaient marqué les événements de 1968 en Italie comme en France, Moretti, dans ce film, comme plus tard dans Ecce Bombo (1978) et Sogni d'oro (1981), se dit ouvertement « de gauche » et ironise sur la gauche. Non sur ses valeurs, mais sur les gens de gauche, leurs travers, leurs faiblesses. Comme Woody Allen (mais la comparaison s'arrête là), Michele est un intellectuel et même un créateur frustré, en proie à des angoisses existentielles. Mais, comme Moretti, il s'insurge contre la disparition progressive de repères politiques et idéologiques et en accuse ceux qui l'entourent autant que le public. À la droite (qui, dit-il, « ne comprendra jamais mon ironie ») comme aux anciens gauchistes, il oppose un radicalisme amer et tonifiant, une énergie physique et verbale incessante, une révolution sociale inséparable d'une transformation de soi à laquelle le cinéma peut puissamment contribuer à condition que l'on s'y implique personnellement.
Quoique très préparée déjà (pas la moindre improvisation), la mise en scène des premiers films fait place à une forme plus classique à partir de Bianca (1984), où l'obsession de pureté – qu’évoque le titre – domine chez Michele, cette fois professeur au lycée Marilyn Monroe, qui devient assassin pour lutter contre le relâchement des mœurs avant de se livrer, presque serein, à la police. Don Giulio (nom de prêtre de Michele dans La messe est finie, 1985) choisit l'exil en Terre de Feu pour respecter un engagement moral et religieux dont tout le monde se délie sans honte autour de lui.
Avec Palombella rossa (1989), Moretti franchit une nouvelle étape dans le lien entre biographie et réflexion politique et morale : homme politique communiste et joueur de water-polo, Michele est devenu, comme la gauche italienne en cette fin des années 1980, amnésique. Le film est l'occasion de convoquer, autour d'une piscine devenue scène, théâtrale,[...]
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Écrit par
- Joël MAGNY
: critique et historien de cinéma, chargé de cours à l'université de Paris-VIII, directeur de collection aux
Cahiers du cinéma
Classification
Média
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...affaiblie et dont le renouvellement ne se faisait pas. Il est vrai qu'au répertoire des auteurs incontestés on ne peut noter qu'une seule révélation, celle de Nanni Moretti à partir de 1976, avec la surprise que constitua Io sono un autarchico (Je suis un autarcique), film à tout petit budget tourné en super-8....