MORETTI NANNI (1953- )
L'intime et le politique
Caro diario (Journal intime, 1994), comme son titre l'indique, pousse à l'extrême le principe d'un cinéma d'autant plus politique qu'il est personnel, Michele laissant désormais place sur l'écran à Nanni Moretti en personne, ajoutant à ses expériences antérieures la chronique d'une maladie qui, après bien des aléas, se révélera être un cancer. Le « cinéma à la première personne » se conjugue au spectacle (et à la réflexion sur le spectacle) d'une manière que même Truffaut, inventeur de la formule, n'avait pu l'imaginer, ni même Jacques Rivette prônant, quarante ans plus tôt, dans sa célèbre « Lettre sur Rossellini », le film d'amateur, l'essai, la confession, le carnet de route, le journal intime...
C'est encore une œuvre intime que propose Nanni Moretti en 1998 avec Aprile. Le réalisateur se filme lui-même, et il filme aussi sa compagne Silvia, son fils Pietro, sa mère, son associé Angelo Barbagello, le réalisateur Daniele Luchetti tournant un spot publicitaire, son assistant, son opérateur, son propre appartement... Un seul acteur professionnel, Silvio Orlando, interprète du Porteur de serviettesde Daniele Luchetti, trouve sa place, mais dans le rôle d'un acteur. Le film commence au soir du succès électoral de Silvio Berlusconi (mars 1994), qui accable Nanni Moretti, et se poursuit avec la victoire de la coalition des forces de gauche, L'Olivier, en avril 1996. C'est également en avril que naît Pietro. Le film ne cesse d'osciller entre l'intime – les émotions prénatales et postnatales du père – et le politique, sans négliger les coups de griffe aux cinéastes qui ont « trahi » la cause d'un cinéma libre, indépendant et surtout singulier. Les références trop nombreuses à la société italienne, l'attendrissement excessif de Moretti sur l'enfant, l'aspect un peu brouillon de la construction rendent ce film moins séduisant que le précédent et laissent apparaître les limites du genre : un narcissisme excessif, déjà perceptible dans Sogni d'oro, lion d'or spécial à Venise, mais sorti dix ans plus tard en France, et qui isole le réalisateur dans un cinéma trop singulier pour dialoguer avec ce qui l'entoure. Le réalisateur en est parfaitement conscient et La Stanzadelfiglio (La Chambre du fils), qui lui a valu la palme d'or à Cannes en 2001, confirmant le retour du cinéma italien sur la scène internationale, revient non seulement à la fiction, mais abandonne, en apparence du moins, le ton de la confidence trop personnelle.
Le sujet aurait pu être celui d'un grand mélodrame digne de L'Incompris de Comencini : la mort d'un fils, étudiant, au sein d'une famille unie et heureuse. Un père (interprété là encore par Nanni Moretti), une mère (Laura Morante) et une sœur doivent affronter sans jamais pouvoir l'admettre le constat de ce sur quoi butte toute vie, action, pensée humaine, le caractère fragile et éphémère de toute chose, la mort inévitable comme fin, pour ceux que l'on aime comme pour soi-même. Si le travail de deuil, au sens le plus littéral et matériel du terme, est le sujet de La Chambre du fils, le propos rejoint la ligne thématique de Moretti dans le choix de faire d'un psychanalyste dévoué à ses patients son personnage central. Ce médecin des âmes rejoint le Don Giulio de La messe est finie : comme lui, il doute de sa mission, de l'utilité de vouloir sauver le monde, par la foi, la plongée dans l'inconscient, et le cinéma, pourrait-on ajouter, tant ce film apparemment distancé redevient, à sa manière, une confession émouvante. La maîtrise de Moretti est désormais totale : là où un tel sujet laissait attendre une surenchère émotionnelle, le réalisateur réussit à plonger, aux dernières minutes du film, le spectateur dans l'état d'esprit[...]
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Écrit par
- Joël MAGNY
: critique et historien de cinéma, chargé de cours à l'université de Paris-VIII, directeur de collection aux
Cahiers du cinéma
Classification
Média
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...affaiblie et dont le renouvellement ne se faisait pas. Il est vrai qu'au répertoire des auteurs incontestés on ne peut noter qu'une seule révélation, celle de Nanni Moretti à partir de 1976, avec la surprise que constitua Io sono un autarchico (Je suis un autarcique), film à tout petit budget tourné en super-8....