MORETTI NANNI (1953- )
États de crise
Malgré les manifestations, malgré Le Caïman, Berlusconi n’en reste pas moins président du Conseil jusqu’en 2011, avant d’être sénateur jusqu’en 2013. Inutile donc d’aborder l’adversaire de face, d’autant que l’image fait partie des domaines – cinéma, télévision – que celui-ci utilise avec succès. Si la cible reste la même, sans doute faut-il viser non pas l’homme, mais le phénomène : la « croyance » en Berlusconi, qui semble aussi obscure qu’inaltérable. La seule « croyance » qui puisse concurrencer la foi en un homme providentiel n’est-elle pas celle que suscite la religion ? Mais il serait sans doute tout aussi illusoire d’aborder cette croyance millénaire de face, elle aussi. D’où l’originalité d’HabemusPapam (2011). La seule faille qui puisse mettre en crise la certitude des « croyants » de tous ordres est le doute ! Non pas la crise du « croyant » lui-même – comme l’hésitation de Don Giulio dans La Messe est finie –, mais le doute qui minerait l’objet même de cette certitude. Moretti place donc le pape dans une situation qui n’a rien de blasphématoire : le cardinal Melville – Michel Piccoli dans un de ses très grands rôles – doute de lui-même, de sa capacité sinon à dire « le vrai », du moins à en indiquer la voie. Et même à « dire », tout simplement. Chargé de transmettre le Verbe, il est partagé entre le cri primal et le silence. Le Vatican lui-même a remarqué l’absence de toute prière dans le comportement de l’Élu malgré lui. Ici, ce n’est pas Dieu qui reste silencieux comme dans un film de Bergman, mais bien ce pape qui ne possède même pas de nom ! Il n’attend plus rien de la parole de Dieu et la chrétienté dans son ensemble, elle, n’entend plus rien... Quant à la raison, adversaire habituel de la foi – en la personne des deux psychanalystes dont l’un est incarné par Moretti lui-même –, elle manque des mots qui permettraient sinon de guérir cette crise, du moins de l’expliquer. Même le jeu – volley-ball, théâtre –, n’offre qu’une parodie de pouvoir et de communion toute provisoire... HabemusPapam, davantage qu’un film sur la crise de l’Église ou de la chrétienté est la métaphore d’un doute généralisé, spirituel, politique, social, historique, civilisationnel. S’il ne propose pas de réponse, Moretti met le doigt sur les incertitudes du présent.
Il est encore question d’acteur(s) dans Mia Madre (2015). Margherita (Margherita Buy) est réalisatrice. Elle dirige des acteurs dont les uns jouent (péniblement) le patron (Barry, John Turturro), d’autres (très conventionnellement) « les » ouvriers. Margherita est aussi l’image type du metteur en scène, celle qui « a toujours raison » (comme le dit sa la famille) ou qui conseille à chacun d’être à la fois le personnage et l’acteur qu’il est lui-même... Si les acteurs saisissent mal cette subtilité, et si Margherita avoue qu’elle n’en sait rien elle-même, le spectateur, lui, comprend en voyant le fossé séparant la Margharita qui filme de celle qui tente, difficilement, de vivre avec authenticité.
Mia Madre n’est pas une réflexion sur le cinéma, mais sur la façon dont « chacun se fait son cinéma », au sens le plus terre à terre du terme. Comme HabemusPapam, il s’agit en effet d’un film sur le doute. Mais la question est loin d’être rhétorique. Elle s’inscrit dans la chair même du film, dans l’agonie d’Ada (Giulia Lazzarini), la mère de Margherita et de son frère Giovanni (Nanni Moretti). Entre la mort inéluctable et l’ouverture vers l’avenir représentée par la fille de Margherita, Livia. À quoi servent le latin, la politique, la culture, les relations de couple, de famille ? À vivre, tout simplement. À transmettre la vie, de quelque manière que ce soit. Cette évidence, le film la dit avec sensibilité, beauté, chaleur, délicatesse. L’une des plus[...]
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Écrit par
- Joël MAGNY
: critique et historien de cinéma, chargé de cours à l'université de Paris-VIII, directeur de collection aux
Cahiers du cinéma
Classification
Média
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