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NAPOLÉON, film de Abel Gance

Une œuvre d'une grande virtuosité poétique et technique

Le scénario reprend les épisodes de la légende napoléonienne telle qu'elle a été vulgarisée au xixe siècle. Abel Gance n'évite aucune image d'Épinal, ni aucune réplique « historique ». Mais son écriture cinématographique, d'une extrême audace pour le cinéma des années 1920, métamorphose cette accumulation de stéréotypes en s'appuyant sur des figures de style radicales. Il y a d'abord la sinuosité du récit et ses excroissances feuilletonesques qui ne cessent d'entremêler avec ironie la « Grande Histoire » et l'anecdote sentimentale. Ces digressions servent à mettre en place des figures métaphoriques, certes conventionnelles (l'aigle qui vient se poser sur le canon, à la fin de l'épisode de Brienne, le drapeau transformé en voile, etc.), mais d'une extraordinaire virtuosité plastique. Les métaphores sont démultipliées par les surimpressions, très nombreuses et multiples, jusqu'à 16 images superposées, lors de la déclamation de La Marseillaise, de la chevauchée en Corse, des débats « houleux » à la Convention, etc.

Napoléon est certes un film à « grand spectacle », mais c'est aussi un film expérimental. Ces expériences rhétoriques culminent dans le montage de plus en plus rapide dans toutes les séquences d'action. Abel Gance va jusqu'à monter des plans d'une à deux images seulement, quasi imperceptibles, mais productrices d'effets rythmiques vertigineux. À cela s'ajoute le célèbre triptyque, ou « polyvision » qui démultiplie l'écran en trois parties, avec une image centrale et deux images latérales, parfois inversées, parfois continues, lors de la représentation de l'armée d'Italie.

Enfin, il faut mentionner le choix des acteurs, leur jeu survolté, la caricature délibérée des silhouettes et des visages. Antonin Artaud compose un Marat halluciné, « les yeux injectés de sang », Van Daële est un Robespierre machiavélique, « froid, pâle, avec les lèvres minces et le regard glacé », le russe Koubitzky est un Danton « crinière en bataille, brailleur et débraillé » (Abel Gance). Les « tricoteuses » et les « sans-culottes » semblent sortir de la cour des Miracles, avec leurs trognes de mégères bestiales et avinées, les colosses, torse nu et aux bras rouges de sang : tous s'opposent à l'élégant Albert Dieudonné qui s'est totalement identifié au jeune Bonaparte des tableaux de la légende. Comme l'a indiqué le restaurateur du film, Kevin Brownlow, voir Napoléon vu par Abel Gance, c'est se retrouver devant des actualités cinématographiques des années 1790, un siècle avant l'invention du cinéma.

— Michel MARIE

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Écrit par

  • : professeur à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle

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