NARCISSISME
Qu'est-ce que la liaison ?
Il n'y a pas de contradiction entre ces trois abords du narcissisme. Chacun éclaire par des perspectives différentes un même fait : l'objet du narcissisme est la liaison elle-même. Le narcissisme, autrement dit, consiste dans la possibilité, pour des systèmes de liaison toujours les mêmes, de s'établir et de se maintenir. Analyser le narcissisme, c'est préciser quelles conditions, quels processus rendent possible cette maintenance de la liaison.
Freud a défini celle-ci comme un système de frayage : l'énergie tendrait à emprunter des circuits privilégiés de neurones, ceux qu'elle s'est déjà frayés. À ces formes de liaison, biologiques, correspondent des associations de représentations qui se répètent, toujours les mêmes. Dans la cohésion de ces liens, dans les circuits qu'ils maintiennent, Freud reconnaît le moi lui-même.
Ces associations, les processus d'investissement (narcissiques) qui les soutiennent, doivent, semble-t-il, s'analyser à partir de ce qu'on appellera ici les effets de résistance propres à tout discours inconscient.
Narcisse et la parole
Le discours inconscient « résiste » dans la mesure où il se maintient et s'investit pour lui-même. Narcisse, c'est d'abord la parole qui non seulement se répète, mais s'articule aussi à seule fin de se commenter, de se mettre en scène, en quelque sorte de jouir d'elle-même. Jouissance qui est au principe du rêve et de la folie.
Comment pourrait, en effet, se comprendre le plaisir pris au rêve, sinon comme plaisir pris au signifiant ? La représentation (abstraite) d'un objet (absent) ne saurait réduire une tension (physiologique) par des effets de signification seulement : la satisfaction se produit en fonction d'une réalité. Or, dans le rêve et le délire, la seule qui puisse être en cause est celle du signifiant, avec ses valeurs phonématiques, sémantiques, sonores, etc. La satisfaction tient dans un jeu avec la matérialité des mots, jeu mené non pas par le rêveur, mais par l'ordre du discours lui-même, puisque le rêveur, avec son histoire, ses affects, son corps, sa présence, fait la valeur, l'étoffe de mots que l'ensemble du rêve met en scène (comme on le fait, dit Freud, dans le rébus).
De même, la folie consiste dans le reflux du discours sur soi-même, reflux où les attributs, la personne, la « raison » deviennent langage : le psychotique est – sans médiation, sans recul – la forme, la sonorité, le glissement des mots. Lorsqu'un schizophrène dit : « C'est la fête de la verdure », il ne s'exprime pas ; autrement dit, il n'utilise pas les mots comme instrument pour dire un message. Ces mots ne signifient pas qu'un jardin, des arbres, une forêt lui apparaissent comme une fête printanière. Ils s'énoncent pour eux-mêmes, constituent leur propre certitude. Certitude sans faille, absolue, puisque la totalité de l'énergie psychique se rapporte à ces mots : le psychotique est donc la phrase qui s'énonce.
Il ne suffit donc pas de désigner cette forme de certitude, de parfaite sûreté propre au délire, comme investissement total du moi. Il faut parler d'un investissement non moins absolu du discours qui fonctionne à la place du moi. Peut-on de la même façon, à propos du narcissisme primaire, considérer que la cohésion des pulsions s'établit dans un rapport à la parole ? Sans doute, mais ce rapport ne saurait se concevoir sans une analyse plus précise que ce que Freud appelle résistance.
Résistance et narcissisme primaire
Partons de l'hypothèse que les mots introduisent dans le réel une résistance constante. En effet, les mots n'étant pas ce qu'ils disent (par exemple, « tarte aux fraises », dans le rêve d'Anna Freud, n'est pas une tarte aux fraises réelle), aucune satisfaction[...]
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Écrit par
- Michèle MONTRELAY : psychanalyste
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