BESSMERTNOVA NATALIA (1941-2008)
Natalia Bessmertnova fut l'une des artistes les plus exemplaires du Bolchoï. Ballerine inspirée, émouvante liane brune aux « mains effilées comme les madones de Van der Weyden » (Le Monde, Olivier Merlin), elle avait triomphé sur toutes les grandes scènes internationales, lorsque le Kremlin transformait ses danseurs en ambassadeurs de charme.
Née à Moscou le 19 juillet 1941, d'un père médecin et d'une mère au foyer, tous deux étrangers au monde des arts, Natalia Bessmertnova manifeste très tôt le désir de danser. Inscrite au cours de danse de la Maison des pionniers et rapidement remarquée, elle entre à l'école du Bolchoï dont elle sort major de sa promotion en 1961. Immédiatement engagée dans la troupe, elle s'y révèle l'année suivante par son interprétation élégiaque des Sylphides. Élève de Marina Semionova (artiste russe qui avait été invitée par Serge Lifar en 1935 à l'Opéra de Paris où l'on donnait pour la première fois des extraits du Lac des cygnes et de la Belle au bois dormant), elle remporte, en 1964, la prestigieuse médaille d'or du concours de Varna, puis en 1970, à Paris, le prix Pavlova, distinctions auxquelles s'ajoutent les traditionnels honneurs soviétiques : artiste du Peuple en 1976, prix de l'Union soviétique en 1977, prix Lénine en 1986.
Au début de sa carrière, elle a la chance de se produire au bras de Mikhaïl Lavrovski, virtuose dont le tragique tourmenté est à l'unisson de ses interprétations, puis à celui d'Alexandre Bogatiriov, artiste poétique à l'élégance blessée des grands romantiques et, enfin, d'Irek Moukhamedov avant que celui-ci ne quitte Moscou pour Londres en 1990. Occasionnellement, elle danse avec Vladimir Vassiliev (Spartacus, Ivan le Terrible), Youri Vladimirov (Ivan le Terrible). Après 1990, elle aura rarement des partenaires à son niveau. Au sein de la troupe du Bolchoï, elle côtoie deux autres très grandes ballerines, sa contemporaine Ekaterina Maximova et la « star », en fin de carrière, la hiératique et sensuelle Maïa Plissetskaïa. On pourrait parler de rivalité avec Maximova si elles n'étaient toutes deux fort différentes, à la manière dont Théophile Gautier opposait au xixe siècle la chrétienne Marie Taglioni et la païenne Fanny Elssler. Bessmertnova aurait pu être une héroïne racinienne tandis que Maximova appartiendrait davantage au monde de la comédie et du drame cornélien.
Très vite essentielle dans la compagnie, Bessmertnova crée, en 1964, l'un des derniers ballets de Kasian Goleïzovski, Leila et Medjnoun. Puis s'enchaînent les prises de rôles du répertoire : Giselle (1963), Le Lac des Cygnes et La Fontaine de Bakhtisaraï (1965), Cendrillon et Le Petit Cheval bossu (1968), le Roméo et Juliette de Leonid Lavrovski (1969) et plus tard, Don Quichotte, La Belle au bois dormant. Parallèlement, elle crée les ballets de Youri Grigorovitch, chorégraphe et directeur de la danse au Bolchoï de 1964 à 1995, dont elle est l'épouse et la muse : La Légende d'amour en 1965, Spartacus et Casse-Noisette en 1968, Ivan le Terrible et Angara en 1976, Roméo et Juliette en 1978, L'Âge d'or en 1982, Raimonda en 1984. Toutes ces héroïnes portent en filigrane sa façon de ployer dans les adages, le lyrisme de ses ports de bras, son audace dans les portés, sa prodigieuse élévation, ainsi que son sens du tragique et de l'immatérialité. En 1995, elle quitte la compagnie du Bolchoï, suivant son mari alors très contesté depuis la perestroïka. Elle y reviendra en tant que professeur.
Natalia Bessmertnova a ébloui la critique internationale qui nous laisse des témoignages lyriques. Si elle séduisait dans tous les rôles, c'est dans Le Lac des cygnes et surtout Giselle qu'elle s'est révélée inoubliable. Clive Barnes du New York Times, dès 1969, la trouve « née pour[...]
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Écrit par
- Sylvie JACQ-MIOCHE : agrégée de lettres, docteur en esthétique, professeur d'histoire de la danse à l'École de danse de l'Opéra de Paris
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