SARRAUTE NATHALIE (1900-1999)
« Plonger le lecteur dans le flot de ces drames souterrains »
Une autre nouveauté de ce travail est alors évidente. Si le principe de personnages aux caractères bien définis est remis en question, l'action dramatique, liée par tradition aux caractères des héros, ne peut que s'en trouver profondément modifiée. Elle se déplace de cette surface où semblent se dérouler les événements d'une fiction, vers ces palpitations souterraines dont les péripéties incessantes se découvrent plus riches et plus réelles. Ce sont les variations des « tropismes », le nuage de leurs modifications, qui vont former la substance du récit. L'action traditionnelle éclate, disparaît. Une quantité de drames infimes la remplacent, dont le déroulement dans la conscience de quelques individus donnera au livre l'aspect oscillant, infini et pourtant ordonné de ce ciel qu'observent les astronomes.
Martereau (1953) et Le Planétarium (1959) témoigneront, comme Portrait d'un inconnu, d'une sorte de jeu entre deux niveaux de l'action et de la lecture. Celui des personnages, maintenus à titre de simples apparences, et celui de leurs soubassements. Dans Martereau, le neveu-narrateur, l'oncle, la tante, Martereau lui-même, peuvent être saisis tantôt de l'extérieur, figures banales et stéréotypées, tantôt dans l'agitation des « tropismes » qui se déroule à l'arrière-plan de leurs actes et de leurs paroles, ce qui annule toute possibilité d'un jugement à leur égard. Ce qu'ils « sont » échappe, et le plus réel, cette « part d'innommé » que recherchait l'écrivain pour « l'investir dans du langage », se révèle justement le plus ambigu. Chaque récit en recommence l'exploration sans jamais la terminer. Martereau peut ainsi proposer quatre actions dramatiques concurrentes qui pourraient se dérouler derrière l'échange de phrases identiques au cours d'un même dialogue. De même, dans Le Planétarium, les fragments apparents d'une intrigue en sont plutôt la parodie : déposséder la tante Berthe de son appartement, décider de l'achat d'un fauteuil, approcher Germaine Lemaire, l'écrivain célèbre, et s'infiltrer dans sa coterie ne sont que les occasions, les prétextes d'une mise à jour vertigineuse : celle du flux et du reflux des courants contradictoires qui nous habitent.
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Écrit par
- Marianne ALPHANT : écrivain
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