MILSTEIN NATHAN (1903-1992)
Dernier survivant de la fameuse école de Saint-Pétersbourg – illustrée par des élèves de Leopold Auer, au premier rang desquels Mischa Elman, Efrem Zimbalist, Samuel Dushkin, Jascha Heifetz, Toscha Seidel –, Nathan Milstein est entré dans la légende du violon tant par la longévité de sa carrière que par la noblesse de son approche musicale.
De l'U.R.S.S. à l'Ouest
Nathan Mironovitch Milstein naît à Odessa, en Ukraine, le 31 décembre 1903, dans une famille d'importateurs en textiles. Il commence à étudier le violon dès l'âge de quatre ans avec sa mère, qui le confie bientôt à Piotr Stoliarski. Pourtant, il n'aimait pas cet instrument et il dira plus tard que c'est sa mère qui a décidé de son avenir. Il donne son premier concert à dix ans en jouant le Concerto pour violon d'Alexandre Glazounov, sous la direction du compositeur. Puis il part pour Saint-Pétersbourg en 1915, où il travaille avec Leopold Auer, le maître de l'école russe du violon, qui avait déjà formé Elman, Zimbalist et Heifetz. À Kiev, il se lie avec Vladimir Horowitz, et les deux amis donnent leurs premiers concerts en 1921. Ils sont envoyés en tournée en Europe occidentale comme ambassadeurs de la culture bolchevique (1923). Il donnent ensuite une série de soixante-dix concerts en U.R.S.S. au cours de la saison 1924-1925 puis décident d'émigrer. Tous deux doivent alors falsifier leurs papiers d'identité et se rajeunir d'un an pour être acceptés en Occident – d'où la date de naissance, erronée, de 1904 qui figure souvent dans les ouvrages de référence.
Milstein se fixe à Paris en 1925 et travaille avec Eugène Ysäye à Bruxelles. En 1929, il s'installe aux États-Unis, où il fait ses débuts la même année, à Philadelphie, sous la direction de Leopold Stokowski. Il acquiert la nationalité américaine en 1942. Ses débuts outre-Atlantique sont assez difficiles : Elman et Heifetz occupent le terrain depuis quelques années, et il devra patienter avant de voir son nom reconnu comme celui de ses aînés. Il retrouve Vladimir Horowitz et se lie d'amitié avec le violoncelliste Gregor Piatigorsky : mais le trio ne se produira qu'une seule fois en public, au Carnegie Hall de New York, en 1932.
Milstein s'impose progressivement comme une troisième voie, à mi-chemin de Heifetz et de Menuhin. Si sa virtuosité reste légendaire, elle ne constitue pas une fin en soi. L'homme est trop versatile pour limiter sa carrière à une simple recherche de la perfection formelle. Au contraire, c'est un perpétuel improvisateur. Sa formation lui a permis de réaliser une synthèse des écoles russe et franco-belge, mais il n'en reste pas moins autodidacte dans sa démarche d'interprétation. Lorsqu'il découvre que les pièces de salon et de virtuosité constituent la base des programmes de concert américains entre les deux guerres, il s'insurge contre cette contrainte et impose son propre répertoire, où la musique du xviiie siècle occupe une place importante. Cette mutation correspond à une nouvelle approche du jeu, plus moderne, plus sobre. Les glissades sentimentales s'estompent au profit de lignes aux contours plus nets, la souplesse du phrasé se substitue au rubato, la chaleur du jeu, canalisée dans un moule plus strict, se fait moins sentimentale et gagne en intensité. À cet égard, il s'éloigne d'Elman, qui restera le virtuose type, dans le style du xixe siècle ; il ne suit pas davantage le chemin dénudé de Heifetz ou la démarche méditative de Menuhin. Il reste un perpétuel improvisateur – au point de devoir choisir avec une extrême minutie ses partenaires –, sachant doser panache et élégance, noblesse et émotion. La longévité de sa carrière est exemplaire. Sans une chute dans un escalier, à l'origine d'une fracture du bras, il aurait continué à honorer des engagements qui lui venaient[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Alain PÂRIS : chef d'orchestre, musicologue, producteur à Radio-France
Classification