NATION L'idée de nation
Le sentiment national
Les Français savent depuis longtemps qu'ils vivent dans le royaume de France ; mais il n'y a pas encore de conscience nationale, pas de patrie commune. L'unité se forgera lentement.
Marc Bloch, relatant les difficultés rencontrées par Godefroy de Bouillon, lors de la première croisade, pour fondre en une seule troupe les chevaliers lorrains de lignées française et germanique, concluait que la simple dualité de langue est ressentie comme une différence suffisante pour être assimilée à un double sentiment national. Cette dualité se retrouve dans le royaume de France et elle constitue un obstacle d'autant plus sérieux pour la formation de l'unité nationale qu'elle correspond à une dualité de civilisation. La patria juris scripti, soumise au « droit écrit », fortement marqué par le droit romain, englobe les « pays » où l'on parle la lingua occitana ; elle est constamment opposée à la patria consuetudinaria, pays de coutumes où l'on s'exprime en langue d'oil.
Influence du pouvoir royal
Le sentiment d'appartenance à une nation unique ne devait apparaître dans l'ensemble de la population du royaume que sous l'influence du pouvoir royal. Encore fallait-il que la monarchie eût elle-même acquis un caractère national. Sans doute, la « religion royale » existait-elle depuis les premiers temps de la dynastie capétienne ; mais, aussi longtemps que la monarchie demeura féodale – et elle l'est encore sous Saint Louis, au milieu du xiiie siècle –, la cohésion ne résultait que des liens de fidélité personnelle. La restauration de la souveraineté était la condition nécessaire pour parvenir au loyalisme envers l'État, incarné dans la personne du roi.
Importance de la guerre de Cent Ans
Cette condition n'était cependant pas suffisante pour créer le sentiment national, et la guerre de Cent Ans a eu une importance décisive pour la formation de celui-ci : c'est, en effet, en s'opposant à des éléments extérieurs qu'on se définit le mieux soi-même.
Dès la mort de Charles IV le Bel, le « droit national » l'emporte, au niveau de la Couronne, sur le « droit dynastique », une assemblée de notables ayant fortement appuyé les efforts de Philippe VI de Valois pour écarter un roi anglais. Cependant, le danger n'est pas définitivement supprimé, et cette expectative se présentera de nouveau, au début du xve siècle, sous Charles VI.
La nation française n'est pas, en effet, encore vraiment constituée au xive siècle. Quelle meilleure preuve peut-on en trouver que le récit, donné par Froissart dans sa Chronique, de la capture de Jean le Bon à la bataille de Poitiers (1356) ? Au roi, qui demande : « À qui me renderai-je ? », « un chevalier de la nation de Saint-Omer », Denis de Morbecque, qui servait le roi anglais après avoir quitté le royaume de France à la suite de la confiscation de ses biens, répond « en franchois » : « À moi, sire, qui suis chevalier et de la nation de vostre royaume ! »
La nation française existe au XVe siècle
Au xve siècle, le résultat est acquis : les défaites, puis les succès de cette longue guerre et l'épopée de Jeanne d'Arc ont exercé une influence décisive sur la formation du sentiment national.
Alain Chartier écrit en 1422 : « Après le lien de foy catholique, Nature vous a, devant toute autre chose, obligiez au commun salut du pays de votre nativité » (Le Quadrilogue invectif). Si des textes du xive siècle parlaient de natione gallicus ou de natio gallicana et flétrissaient les « ennemis du roy de France », ce sont maintenant « les ennemis du roy et du royaume de France » que l'on stigmatise et les « Bourguignons » se voient reprocher par les « Armagnacs » de pactiser avec les Anglais. De leur côté, des affidés du roi d'Angleterre, accusés de trahison devant les[...]
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Écrit par
- Georges BURDEAU : professeur à la faculté de droit et des sciences économiques de Paris
- Pierre-Clément TIMBAL : professeur à la faculté de droit et des sciences économiques de Paris
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