NATION L'idée de nation
L'éclatement du concept de nation
Au phénomène à la fois historique et sociologique que fut la formation de la réalité nationale, la pensée révolutionnaire en France est venue apporter une consécration juridique en faisant de la nation un sujet de droit. Propriétaire de la souveraineté, la nation est la source de tous les pouvoirs qui ne peuvent être exercés qu'en son nom. À ce titre, l'idée de nation pénétrait dans l'univers politique non comme une force parmi d'autres, mais comme la seule puissance légitime puisque c'est en elle que se situait le fondement de l'autorité.
Sans qu'il y ait lieu d'examiner ici toutes les conséquences de cette promotion de la nation au rang des concepts juridiques, il suffira de souligner que cette consécration, où l'on peut voir l'apogée de l'idée nationale, fut également une cause de son déclin, un déclin qui l'atteint à la fois en tant qu'elle est un principe de rassemblement des individus à l'intérieur d'un groupe unifié et une justification de son originalité par rapport à des groupements plus larges.
La rupture interne de l'unité nationale
Ayant dissocié les cadres sociaux traditionnels, la pensée révolutionnaire leur avait substitué un cadre unique, la nation, pour rassembler en un corps unifié les individus que la disparition des ordres, des corporations et des divers états condamnait à la solitude. S'ils demeuraient socialement isolés, du moins trouvaient-ils, politiquement, une chance de regroupement. La pensée politique libérale fut ainsi dominée par la conviction qu'il était possible de regrouper dans l'allégorie nationale les différentes catégories de la population que, dans la réalité de la vie quotidienne, séparent les intérêts, les aspirations, les ressources, les chances. C'est cette communion qu'est venu rompre le durcissement de la conscience de classe.
Quelles que soient les difficultés que présentent la définition des classes et leur délimitation, le fait dont la réalité est indéniable est que celles-ci opèrent une redistribution des membres de la collectivité nationale en quelques grandes formations entre lesquelles la communication est rompue. Il ne s'agit pas, en effet, d'un cloisonnement à l'intérieur d'un cadre plus vaste qui serait la société globale ou la nation ; il s'agit d'un groupement qui, tout à la fois, se suffit et annule les autres. C'est utiliser une formule trop hâtive que de dire que les classes divisent la nation : le vrai, c'est que, aux yeux de ses membres, la classe la remplace. Elle est, pour eux, une famille naturelle qui dispense une chaleur et une protection que la famille légale, la nation, ne procure pas. Il s'ensuit qu'attendre d'une réconciliation des classes la reconstitution de l'unité rompue est un espoir assez vain. On ne peut procéder avec elles comme avec un vase brisé dont on rapprocherait les morceaux. La réalité, c'est qu'il n'y a pas de morceaux ; il y a dans chaque éclat un vase en puissance.
Ce serait cependant faire la part trop belle au dogmatisme idéologique que d'en conclure que la classe a définitivement remplacé la nation comme mode de rassemblement des individus. Certes, depuis qu'elle a cessé d'être un concept révolutionnaire, la nation n'exerce plus qu'à de rares occasions l'attirance émotive qui lui permit autrefois de sceller l'unité du peuple par-delà les différences de conditions et l'antagonisme des intérêts. Mais le fait national n'en subsiste pas moins. Résistant à l'érosion des mythes qui visent à ériger la classe en catégorie suprême, il trouve un écho au plus profond de la conscience politique des individus, là où s'estompent les clivages partisans et où s'affirme l'attachement à l'être collectif que l'histoire a forgé.[...]
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Écrit par
- Georges BURDEAU : professeur à la faculté de droit et des sciences économiques de Paris
- Pierre-Clément TIMBAL : professeur à la faculté de droit et des sciences économiques de Paris
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