- 1. Disparition des empires
- 2. Refus du privilégiement ethnique
- 3. Rôle de l'intelligentsia
- 4. Le rôle des masses
- 5. Récupération du passé
- 6. Récupération de l'espace
- 7. Reconnaissance extérieure
- 8. Constitution du parti
- 9. Le rôle de l'État
- 10. Lente découverte d'une double identité
- 11. Les nations construites avant la première vague
- 12. Bibliographie
NATION La construction nationale
Les nations construites avant la première vague
Une fois énumérés ces dix éléments ou moments principaux de la construction nationale, plusieurs questions demeurent.
En premier lieu, ces dix éléments représentent-ils dix moments, dix phases qui se succéderaient dans le cadre d'un déterminisme global et multiple ? Dans l'ensemble, il apparaît qu'on puisse répondre affirmativement, sans qu'il faille pour autant admettre l'autonomie de ces éléments ou de ces moments, l'ensemble se profilant en filigrane dans les premiers et dans chacun de ceux qui apparemment suivent ; tel ou tel peut à un moment donné prédominer par rapport aux autres ; ceux-ci, cependant, persistent, sous-jacents.
La deuxième question, plus importante encore, est de se demander si, antérieurement aux trois vagues reconnues comme « nationales », un processus similaire a présidé à la naissance de nations telles que la nation française, voire la nation espagnole ou même la nation allemande. On retrouve la désagrégation des empires, qu'il s'agisse de la fin de la domination romaine en Occident, du Bas-Empire d'Orient, du Saint Empire romain germanique ou de l'Empire de Charles Quint : ce premier élément semble permanent comme condition d'apparition de nations, même si celles-ci sont très différentes de la nation moderne, et plus encore de la nation contemporaine. On constate aussi la même attitude vis-à-vis du privilégiement d'une ethnie : la romanité disparaît avec l'Empire d'Occident ; le Saint Empire, en tant que dominante ethno-culturelle, disparaît avant que naissent les royaumes déjà « héritiers » ; et la « nation chrétienne », autre forme de privilégiement, disparaît avec les schismes, générateurs de regroupements nationaux. L'adaptation du deuxième élément ne semble donc pas impossible. Il est non moins évident que les rôles respectifs de ce que l'on ne nommait pas encore intelligentsia, ni masses populaires, mais qui n'en existait pas moins, seraient susceptibles d'adaptation à notre schéma : les fonctionnaires, qui « savent », ne sont plus romains dans la désagrégation de l'Empire, et les universités ou les collèges se partagent en « nations », quel que soit le sens exact du terme, tandis que les masses paysannes, contrairement aux citadins qui, eux aussi, « savent », sont étrangères, dans leur ignorance, aux regroupements ethno-nationaux des clercs et de la bourgeoisie des villes : du citadin au citoyen, la proximité n'est pas seulement d'ordre étymologique ; l'un et l'autre jouissent de droits, alors que le paysan demeure sujet. Le cinquième et, partiellement, le sixième élément sont plus délicats à retrouver : récupération d'un passé, récupération d'un espace. En ce qui concerne le temps, en effet, il faudrait qu'il y ait eu création d'un passé national, d'une durée nationale. La Reconquista, en Espagne, est toutefois un exemple d'une politique de récupération du temps, même si cette politique est plus royale que nationale ; la Reconquista était récupération d'un passé de « nation chrétienne », y compris dans les mœurs populaires, l'un des fondements de la nation. Les « guerres » entre cette mosaïque de possessions royales, princières, seigneuriales, en Allemagne, en France, même menées avec des mercenaires (et ce ne fut pas le cas le plus général), représenteraient, dans notre hypothèse, la mise en forme d'un espace spécifique dans lequel langue et culture commençaient à former un tout : les universités allemandes, au service des princes, formaient des clercs pris hors de la noblesse, qui affinèrent et durcirent des cultures. Faut-il rappeler que la nécessité de la « reconnaissance » par d'autres puissances a commencé avec la féodalité et s'est perpétuée, pour princes, rois[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Émile SICARD : professeur à la faculté des lettres et sciences humaines de Bordeaux
Classification
Média
Autres références
-
LA CRÉATION DES IDENTITÉS NATIONALES (A.-M. Thiesse)
- Écrit par Pierre MILZA
- 981 mots
Que l'idée de nation et le sentiment identitaire qui s'y rattache soient non pas des faits « naturels » mais des constructions de l'esprit, apparues au début de l'ère industrielle, il est peu d'historiens aujourd'hui pour le nier. Les Français ne furent certainement ni les premiers ni les plus ardents...
-
AFRIQUE (conflits contemporains)
- Écrit par René OTAYEK
- 4 953 mots
- 4 médias
Le passage de l'État colonial à l'État postcolonial ne marque aucune rupture en la matière. Certes, l'heure est à la construction de la nation, objectif proclamé de ces mêmes élites qui héritent des rênes du pouvoir. La stigmatisation du tribalisme associée à la délégitimation des appartenances... -
ALLEMAGNE (Géographie) - Géographie économique et régionale
- Écrit par Guillaume LACQUEMENT
- 12 049 mots
- 10 médias
...Deutscher Reich de Bismarck (en 1871). Mais la conscience de former un peuple s'affirme précocement en dépit et au-delà du morcellement des États territoriaux. L'idée de nation se nourrit dès le Moyen Âge de la résurrection du passé germanique à travers les grandes chansons de geste du cycle de Siegfried et de... -
ANDERSON BENEDICT (1936-2015)
- Écrit par Encyclopædia Universalis
- 1 202 mots
L’historien et politologue irlandais Benedict Anderson tient une place importante dans l’historiographie anglo-saxonne pour ses travaux sur les origines du nationalisme.
Benedict Richard O’Gorman Anderson est né le 26 août 1936 à Kunming, dans le sud de la Chine, où son père occupe un poste au Bureau...
-
ARABISME
- Écrit par Encyclopædia Universalis et Maxime RODINSON
- 5 530 mots
- 6 médias
Le nationalisme arabe s'est forgé une idéologie, comportant une théorie fondamentale de la nation – et de la nation arabe –, théorie constituée en fonction des aspirations spontanées et des problèmes politiques pratiques posés par la situation des peuples arabes. Aux théories européennes sur la nation,... - Afficher les 38 références