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NATION La construction nationale

Le rôle des masses

Les masses (même dans sa négativité, ce quatrième élément, ce quatrième moment est important) restent encore en dehors du jeu qu'elles ne font que contempler de loin, quand même elles ne s'y opposent pas. Comment en serait-il autrement ? Les traditions, coutumes, langages et relations de domination ont maintenu les divisions, sinon l'hostilité entre les populations ; la culture étrangère ne les a pas touchées – ou de façon superficielle et dans une perspective syncrétique qu'elles ne sont pas à même d'analyser – par manque de liens avec le colonisateur, par manque de communication profonde, sinon de contacts demeurés extérieurs et superficiels ; les différences de niveau et de genre de vie les ont séparées de l'intelligentsia et de la classe politique consciente. Elles restent passives, indifférentes, au moins dans une première phase des luttes qui viseront à une libération individuelle plus qu'à une libération nationale, et de toute façon pas encore à une construction nationale. En une seconde phase, l'intelligentsia politique, qui dominait mal ces groupes ethniques, y compris ceux dont elle est issue, va les coaguler, progressivement, morceau par morceau, en un agglomérat humain, sous l'emprise d'un mode élémentaire de charisme, correspondant à l'affectivité dominante de ces ethnies. Ce regroupement s'effectuera aussi sous l'emprise de l'action : guerrière lorsque la libération nationale l'aura exigée à un moment ou à un autre du processus de construction nationale ; politique en d'autres lieux et à d'autres moments. C'est, peut-être, à cet instant précis de la fusion charismatique et militante de l'intelligentsia et des populations incultes dans une action où le mythe peut jouer que naît véritablement la nation. Entre intelligentsia et masses, on rencontre partout, en des moments différents, des intermédiaires ; pour le dominateur, c'est le « terroriste », le « bandit » ; pour le dominé, c'est le « combattant », le « héros ». Ouskoks, haïdouks, comitadjis, fellaghas, feddayin, issus habituellement des couches populaires les plus éduquées, sont les chaînons essentiels entre classe politique et masses dans l'apparition du sentiment national, sans lequel le principe national intellectualisé du penseur ne serait, concrètement, politiquement, rien. Les trois vagues, y compris la vague américaine sous ses formes spécifiques, comportent cette triade : intelligentsia-bandit héroïque-masse, triade fondamentale dont chacun des termes est indispensable au développement complet des processus de construction nationale.

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Écrit par

  • : professeur à la faculté des lettres et sciences humaines de Bordeaux

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Média

Julius Nyerere et l'indépendance du Tanganyika (1961) - crédits : Keystone/ Hulton Archive/ Getty Images

Julius Nyerere et l'indépendance du Tanganyika (1961)

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