- 1. Disparition des empires
- 2. Refus du privilégiement ethnique
- 3. Rôle de l'intelligentsia
- 4. Le rôle des masses
- 5. Récupération du passé
- 6. Récupération de l'espace
- 7. Reconnaissance extérieure
- 8. Constitution du parti
- 9. Le rôle de l'État
- 10. Lente découverte d'une double identité
- 11. Les nations construites avant la première vague
- 12. Bibliographie
NATION La construction nationale
Récupération de l'espace
L'effort pour récupérer l'espace renferme plus de contradictions que la récupération du temps. Dans l'ensemble, les frontières des nouvelles nations en voie de formation se sont greffées sur les frontières héritées de la colonisation ou de la domination étrangère. Les partages malheureux – Katanga, Biafra, Pakistan, Tchad, par exemple – et toutes les situations où le feu couve, se soldent généralement par des échecs, du fait de l'hostilité unanime des leaders en place, mais aussi du fait des tentatives d'unification plus vaste dans un cadre fédéral ou confédéral (africain, par exemple). On se trouve confronté à deux tendances contradictoires. La première est marquée par la prédominance d'une politique des ethnies, dont l'une, principale, doit donner naissance, par quelque amalgame avec d'autres (« surgescence » du privilégiement des empires, mais aussi phase régulièrement constatée dans la construction des nations « faites »), à la nation considérée comme phénomène prioritaire. On peut citer, à titre d'exemple, l'Algérie, avec le discutable amalgame arabo-berbère, le Sénégal aux mains des Ouolofs, Madagascar dominé par les Mérinas, le Tchad sous l'égide des groupes ethniques du Sud, et, naguère, le royaume des Serbes, Croates et Slovènes, où l'élément serbe disposait de la primauté, la Tchécoslovaquie plus tchèque que slovaque, les pays latino-américains, ou plus encore amérindiens, sous l'hégémonie, selon le cas, des créoles ou des métis.
Dans la seconde tendance prédomine une perspective de bien plus large envergure devant aboutir à une forme d'« États-Unis » dans lesquels, à très long terme, les ethnies puis les « nations-États » se fondront, au moins superficiellement, en vue d'un plus ample développement économique.
En fait, c'est vers des frontières du premier type – héritage colonial, mais aussi héritage traditionnel – que les nations « en construction » se dirigent d'abord, en ne perdant pas de vue, par-delà les frontières coloniales, le souvenir des anciens conglomérats nés de l'extension des empires passés. Ici, empires et royaumes précoloniaux ; là, empires coloniaux : anciennes vice-royautés du Río de la Plata, du Pérou, de la Nouvelle-Grenade, du Mexique, ou encore anciens gouvernements généraux de l'Afrique occidentale, de l'Afrique équatoriale française, de l'Indochine, ou des Indes néerlandaises. Ailleurs, des alliances, éventuellement passagères, parce que plus ou moins imposées de l'extérieur, telles que la Petite Entente, l'Entente balkanique, la Fédération danubienne, ont perpétué le souvenir des trois Empires européens démembrés au cours de la deuxième vague (Empires russe, austro-hongrois et ottoman). Mais, ni futurs « États-Unis », ni « alliances », ni « ententes », ni « organisations » (Organisation des États américains, par exemple), et pas davantage l'existence des « blocs » – on rappellera la tendance « nationale » roumaine, le « schisme » yougoslave, la « normalisation » tchécoslovaque – ne font disparaître les formes politiques existant au moment de la proclamation des indépendances, même si les frontières d'alors ont quelque relent colonial. Il en est ainsi pour les États latino-américains (devenus nations par la suite), organisés à partir des limites d'une vice-royauté (Mexique, Brésil), mais aussi et surtout à partir d'une division administrativo-ethnique de plus petit diamètre (capitaineries générales du Guatemala, du Venezuela, du Chili, de Saint-Domingue). Les « rectifications » nationales sont venues plus tard.
Cela est encore plus vrai pour les États de la deuxième vague organisés, au départ, sur la base de divisions administratives, qu'elles soient[...]
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Écrit par
- Émile SICARD : professeur à la faculté des lettres et sciences humaines de Bordeaux
Classification
Média
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