NATION Nation et idéologie
Le peuple, l'ethnie, la nationalité, la nation sont des vocables différents pour désigner divers types de formations globales d'une envergure qui dépasse et transcende celle des groupements globaux primaires : clans, tribus, villes et villages, cités-États, provinces. Ils impliquent tous un développement de solidarités unissant ces groupements ethniques ou territoriaux, ou encore à la fois ethniques et territoriaux. L'accord n'est pas fait sur l'affectation de chacun de ces termes-étiquettes à un type différent de formation. Il importe surtout de bien saisir qu'il existe une gradation infinie de formes et que les critères de différenciation sont multiples.
Tout groupement de ce genre a, au minimum, une conscience diffuse de lui-même, une idéologie implicite qui correspond à la perception de sa réalité et répond (plus ou moins bien) aux exigences de sa situation. Des intellectuels, fussent-ils de type très primitif, en élaborent des théorisations plus ou moins poussées, explicitent avec quelque gauchissement ces éléments idéologiques de base. Au minimum, le groupe ethnico-national s'y trouve défini, délimité par rapport aux autres. Les traits culturels et les institutions qui font ou sont censés faire sa spécificité s'y voient rattachés à son identité. Toutes ses manifestations d'unité y sont justifiées, légitimées.
On peut appeler idéologies ethnico-nationales toutes ces idéologies plus ou moins explicitées ou théorisées. Le terme de nationalisme, plus spécial, a été, en général, affecté soit à l'idéologie de la nation-État de type contemporain, soit aux développements idéologiques les plus théoriques, les plus agressifs – les plus dégagés aussi de toute référence autre – émanant des divers groupes ethnico-nationaux.
Idéologies et formations ethnico-nationales
Les idéologies ethnico-nationales varient naturellement d'abord selon le type de groupement auquel elles correspondent.
Les ethnies inorganisées sont des ensembles non structurés ou peu structurés d'unités pratiquement indépendantes : tribus, cités-États. On peut prendre comme exemples les tribus gauloises, germaniques, israélites ou arabes, les cités-États sumériennes, grecques ou mayas, les nomes égyptiens à l'époque prédynastique. Ces unités dont les membres parlent la même langue et ont en commun de nombreux traits culturels se reconnaissent une parenté sur le modèle du clan ou de la famille. Souvent des institutions en manifestent, à certains intervalles au moins, l'unité très relative. Ainsi les amphictyonies, les pèlerinages au même sanctuaire, les foires ou marchés communs, les compétitions sportives ou littéraires comme celles des jeux Olympiques ou du marché arabe pré-islamique de ‘Okāẓ.
Les États ethnico-nationaux apparaissent lorsque se forme une structure étatique englobant une ethnie déterminée ou une partie importante de celle-ci. L'unité politique peut niveler alors plus ou moins les différenciations internes suivant la force de l'État, le degré d'intégration que les conditions économiques et géographiques permettent. L'idéologie ethnico-nationale se renforce et se constitue en idéologie d'État. Ainsi l'Égypte pharaonique, les royaumes israélites antiques, les grands royaumes chinois. Plusieurs États peuvent se constituer pour une même ethnie, et alors l'idéologie ethnique garde en grande partie le même caractère que dans le type précédent.
Les empires, unités étatiques où une ethnie (en général groupée déjà dans un État ethnico-national ou au moins formée de tribus ou cités fédérées, comme dans le cas des Aztèques) en domine d'autres. Ce sont de fortes formations qui développent une idéologie propre en dehors ou au-dessus des idéologies ethniques. Si, comme il arrive, les ethnies ont tendance à se fondre en son sein, on retombe dans[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Maxime RODINSON : directeur d'études à l'École pratique des hautes études (IVe section)
Classification
Autres références
-
LA CRÉATION DES IDENTITÉS NATIONALES (A.-M. Thiesse)
- Écrit par Pierre MILZA
- 981 mots
Que l'idée de nation et le sentiment identitaire qui s'y rattache soient non pas des faits « naturels » mais des constructions de l'esprit, apparues au début de l'ère industrielle, il est peu d'historiens aujourd'hui pour le nier. Les Français ne furent certainement ni les premiers ni les plus ardents...
-
AFRIQUE (conflits contemporains)
- Écrit par René OTAYEK
- 4 953 mots
- 4 médias
Le passage de l'État colonial à l'État postcolonial ne marque aucune rupture en la matière. Certes, l'heure est à la construction de la nation, objectif proclamé de ces mêmes élites qui héritent des rênes du pouvoir. La stigmatisation du tribalisme associée à la délégitimation des appartenances... -
ALLEMAGNE (Géographie) - Géographie économique et régionale
- Écrit par Guillaume LACQUEMENT
- 12 049 mots
- 10 médias
...Deutscher Reich de Bismarck (en 1871). Mais la conscience de former un peuple s'affirme précocement en dépit et au-delà du morcellement des États territoriaux. L'idée de nation se nourrit dès le Moyen Âge de la résurrection du passé germanique à travers les grandes chansons de geste du cycle de Siegfried et de... -
ANDERSON BENEDICT (1936-2015)
- Écrit par Encyclopædia Universalis
- 1 202 mots
L’historien et politologue irlandais Benedict Anderson tient une place importante dans l’historiographie anglo-saxonne pour ses travaux sur les origines du nationalisme.
Benedict Richard O’Gorman Anderson est né le 26 août 1936 à Kunming, dans le sud de la Chine, où son père occupe un poste au Bureau...
-
ARABISME
- Écrit par Encyclopædia Universalis et Maxime RODINSON
- 5 530 mots
- 6 médias
Le nationalisme arabe s'est forgé une idéologie, comportant une théorie fondamentale de la nation – et de la nation arabe –, théorie constituée en fonction des aspirations spontanées et des problèmes politiques pratiques posés par la situation des peuples arabes. Aux théories européennes sur la nation,... - Afficher les 38 références